LA MORT TRANSFIGURÉE

Recherches sur les expériences vécues aux approches de la mort (NDE)

Première partie

Une expérience à la fois humaine

et humainement déstabilisante

" Rien que le phénomène. Mais aussi tout le phénomène. [...] Etablir autour de l'Homme, choisi pour centre, un ordre cohérent entre conséquent et antécédents ; découvrir, entre éléments de l'Univers, non point un système de relations ontologiques et causales, mais une loi expérimentale de récurrence [...] Ces pages représentent un effort pour voir, et faire voir, ce que devient et exige l'Homme, si on le place, tout entier et jusqu'au bout, dans le cadre des apparences. "

Pierre Teilhard de Chardin
(le Phénomène humain)

Cette première partie présente les faits, d'une part sur un échantillon français de population mélangée, d'autre part sur des populations particulières : les enfants et les « suicidants ».

Introduction

Témoignages

 

1.

ENQUÊTES SUR UNE EXPÉRIENCE OBJET DE TOUS LES SOUPÇONS

Validité et limites des enquêtes: des biais difficiles à éviter

Discussion méthodologique préliminaire

Évelyne-Sarah MERCIER
anthropologue
 
 

L'épistémologie est " cette conscience critique des méthodes actuelles d'un savoir adéquat à son objet ".

Georges Canguilhem
(Études d'histoire et de philosophie des sciences)

 

L'existence des NDE n'est plus sérieusement controversée. En revanche, son statut d'objet de recherche scientifique fait réagir vivement scientifiques patentés, publie averti et expérienceurs.

Les NDE ont le don de provoquer de fortes réactions émotionnelles et des attitudes irrationnelles. C'est à double titre, en effet, que les NDE mobilisent des aspects archaïques de la psyché : elles impliquent en elles-mêmes très probablement des zones préverbales et leur étude sous l'angle scientifique fait resurgir des réactions archaïques de protection de territoire. Ou ne peut faire de la recherche en NDE sans empiéter sur les domaines que les sciences instituées se sont réservés. Par ailleurs la NDE remet en question les croyances majeures qui sous-tendent les positions de vie. Ces positions se sont traduites en accumulations de biens matériels ou intellectuels, relations affectives, réseaux et statuts sociaux qui ont coûté à bien des égards. On ne lâche pas si facilement de tels acquis.

Les deux attitudes extrêmes sont, d'une part la position matérialiste-réductionniste, d'autre part la position spiritualiste-inflationniste. La première catégorie voudrait faire des NDE une hallucination, c'est-à-dire, selon la définition de Henri Ey, « une perception sans objet réel à percevoir ». Nous les invitons à consulter les faits : nos dossiers sont ouverts. La deuxième catégorie voudrait dénier à la science sa capacité à étudier ce type de phénomène. Mais refuser l'examen rigoureux (dans la mesure où il est ouvert et respectueux) d'une expérience même intime et ineffable relève d'une méconnaissance à la fois des ruses du psychisme et des voies spirituelles traditionnelles qui exigent des contrôles croisés.

Les conditions de cette recherche manifestent comme une isomorphie avec le déroulement d'une NDE, Mais n'est-ce pas la loi de toute recherche fondamentale ? D'abord la mort : renoncements partiels, « dé-faites », « dé-prises », deuil de ce qui fut. Puis le passage par le noir, le chaos des catégories impropres à trier les objets qui apparaissent confusément. Mais petit à petit les yeux apprennent à discerner. Des instruments/organes s'élaborent qui permettent de nouveaux percepts et concepts. Une lumière inconnue nous fait « saisir» un nouvel ordre plus puissant et intégrateur de l'ancien. Comme dans la NDE, il doit se produire rupture et changement de niveau.

Nous en sommes probablement à la phase de la première accommodation visuelle.

L'étude des NDE est très complexe. Il est difficile d'observer les critères de rigueur les plus stricts, Nous n'avons cependant pas le choix. Soit nous voulons enquêter sur des phénomènes passionnants et il nous échoit de nous « colleter » avec les faits tels qu'ils se présentent, en prenant les précautions et réserves d'usage. Soit nous voulons garder les mains propres et nous renonçons à approcher un domaine dangereux pour nos croyances ou notre réputation. Mais ce faisant, nous nous interdisons d'en parler en tant qu'experts.

La première démarche à entreprendre, avant de présenter des résultats, est de valider la recherche en définissant le cadre dans lequel ils se manifestent et sont étudiés.
 
 

Fiabilité des témoignages

Les témoins sont-ils sincères ?

La première crainte exprimée par les sceptiques est la possibilité d'affabulation des témoins. Les chercheurs en NDE ne sont pas moins naïfs que les autres. Une question préliminaire est en effet : quel est le degré de véracité des témoignages et quelle est leur fiabilité ? Nous savons tous la fragilité du témoignage humain en général. Les témoins en sont conscients et se sont très souvent posé à eux-mêmes les questions : N'ai-je pas rêvé ? Suis-je en train de devenir fou ? Où est la réalité ? La décision de témoigner se fait donc au terme d'un processus de vérification et d'auto-évaluation.

Nous n'avons d'ailleurs pas reçu énormément de témoignages eu égard au nombre d'expériences françaises que l'on peut supposer exister (en appliquant les fréquences américaines). La réticence à témoigner est très manifeste et les avantages que les témoins pourraient en tirer sont assez restreints. Il est évident que certains, peu nombreux, en tirent quelques avantages. Ceux-là sont aisément repérables.

En ce qui concerne la crédibilité des observations objectives faites en état de décorporation, il faut se mettre dans la peau de la personne à qui ce genre d'aventure arrive. On comprend alors son besoin de vérifier et de le faire honnêtement : on le fait d'abord pour soi, pour contrôler ce qui semble aberrant. Il est en effet vital de résoudre le conflit intérieur entre croyances anciennes et expérience récente. Changer son système de croyance est rarement avantageux. L'être humain, en tant que système vivant ouvert, préfère conserver son homéostasie, qu'elle soit physique ou psychique. Corroborer les observations d'une décorporation revient pour un expérienceur à provoquer des perturbations mentales que notre tendance spontanée nous pousserait à fuir.

En fait, il se dégage des expérienceurs une grande authenticité, et quand il y a dissonance, elle est généralement révélée par l'expérienceur lui-même, parce qu'il se rend compte de certaines limites, ou par une incohérence patente dont il n'a même pas conscience.

Enfin, il est rare que les témoins aient entendu parler des NDE avant leur expérience. Les premières enquêtes ont même révélé une corrélation négative entre l'advenue d'une NDE et sa connaissance préalable.
 
 

Des filtres inévitables mais détectables.

Certains considèrent qu'il existe une reproductibilité de fait de l'expérience (son apparition spontanée un peu partout) malgré notre incapacité actuelle à l'organiser en laboratoire. Il n'en reste pas moins vrai que nous sommes en présence d'expériences subjectives, analysables à travers les récits qui nous en sont faits. La subjectivité des perceptions et celle de leur expression sont les deux premiers filtres. D'autres s' y ajoutent

- ineffabilité d'une expérience nécessairement recodée et déformée au retour (par un cerveau aux capacités cognitives apparemment réduites, relativement à son activité dans la NDE) ;

- absence de cadres conceptuels appropriés (donc accrochage à ce qui existe : discours ésotérique ou occultiste par exemple) ;

- long délai entre l'expérience et son enregistrement (reconstructions rationnelles quasi inévitables)

- interaction enquêteur/enquêté...

Nous ne sommes pas dans une discipline scientifique dite dure. Mais existe-t-il encore de strictes sciences dures ? Même en physique la notion de réel se fait évanescente si l'on se réfère à des critères « classiques », la subjectivité du chercheur y tient sa place et les expériences cruciales deviennent quasi impossibles à organiser. A propos de la sociologie ou de la psychologie, Karl Popper parle de « pseudosciences ». Le terme ne nous paraît pas approprié : pseudo dans son origine grecque veut dire menteur. Il n'y a pas de science royale. Il y a des sciences centrées sur la matière ou sur l'humain dont les méthodes sont adaptées à leur objet. Les sciences humaines ont appris à travailler avec ce matériau délicat que sont les expériences et les discours personnels. Comme partout, la validité des évaluations tient essentiellement à la qualité des chercheurs et à leur contrôle intersubjectif

On pourrait mettre en doute la fiabilité du souvenir pour des expériences parfois extrêmement anciennes. Mais nous savons tous que des faits très marquants de notre petite enfance peuvent s'imprimer en nous jusque dans les moindres détails.

Quiconque a rencontré des témoins peut sentir l'existence du noyau dur de l'expérience, le reconnaître et parvenir à le distinguer des ajouts ultérieurs. Nous ne détenons aucune assurance, mais de fortes présomptions. Nos repères sont les cadres de référence connus, les dires des témoins sur leurs recherches, la cohérence interne de leur discours, la structure de leur personnalité 1.
 
 

Une sélection « a priori »

Un des biais majeurs des enquêtes sur sollicitation d'un chercheur ou d'une association est la sélection bilatérale des témoignages et l'instauration d'une relation demandeur-offreur (d'expérience).

En pratique, c'est à la suite d'articles, d'émissions, de manifestations ou de bouche à oreille que des personnes prennent l'initiative du contact. Ces témoins pensent avoir vécu une NDE. Les appréciations sont plus ou moins exactes, mais il y a peu de ratés. Ne sachant rien des expérienceurs silencieux, nous ne savons pas si ceux qui témoignent sont représentatifs. Les silencieux demeurent hypothétiques et inconnus. De fait, un tri de personnalité s'est opéré, éventuellement par le fait d'avoir une NDE ou de s'en souvenir, et par la décision prise de témoigner.

Un deuxième tri se fait côté chercheur. Il est impossible d'interviewer toits les sujets. Le choix se fait en fonction d'une définition a priori de la NDE, Cette définition peut varier d'un chercheur à l'autre et n'est pas définitive. Sans définition, il est impossible de cerner un objet de recherche ; avec une définition trop stricte, on risque de l'enfermer. Il faut donc prendre quelques risques de débordement qui pourront conduire à des redéfinitions a posteriori, mais conserver un minimum d'homogénéité. Les différences de fréquences constatées s'expliquent en partie par I'éIasticité plus ou moins grande des modèles retenus a priori.

La troisième limite de ce mode de recrutement est une relation d'échange finalement peu propice à un approfondissement. Le chercheur a besoin de témoignages pour ses études, le témoin offre son témoignage à la science. L'ambivalence est grande. Il y a d'une part valorisation de l'expérience reconnue digne d'intérêt scientifique, et de l'autre dépossession du droit à être seul à en parler : " ces questions sont idiotes ", " qu'est-ce qu'un scientifique peut comprendre à mon vécu ? ", etc.

Certains témoins vont même jusqu'à craindre une exploitation commerciale. J'ai eu par exemple connaissance de réflexions telles que : " IANDS va faire de l'argent avec mon témoignage ", " je le lui donne, mais je lui interdis de s'en servir pour des publications ", " si je témoigne pour IANDS, je risque de ne plus avoir l'exclusivité de mon récit pour le livre que je veux en faire ", etc.

Pour une coopération sereine et efficace le témoin doit avoir déjà bien intégré son expérience et le chercheur bien clarifié ses motivations.
 
 

Cherchons désespérément des NDE négatives

Mieux vaut ne pas utiliser l'expression « NDE infernale »: elle réfère trop à une imagerie religieuse et ne recouvre pas toutes les expériences qu'on pourrait regrouper dans cette catégorie. Le terme « NDE traumatique » ne me semble pas non plus adéquat car le caractère traumatique peut se retrouver dans des NDE extatiques. Il est préférable de recourir à l'appellation « NDE négative » pour désigner une expérience où dominent les émotions négatives.

La quasi-absence de NDE « négatives » constitue un biais difficile à éviter. Nous ne cherchons pas à le produire, mais c'est un biais qui s'auto-alimente. Plus seront développées les expériences positives, moins nous aurons l'occasion de recueillir des expériences négatives. Le poids d'une « normalité » qui limite encore beaucoup la narration des NDE peut également jouer entre NDE positive « normale » et NDE négative.

La NDE négative pourrait alors être interprétée comme « pathologique » ou « punitive ». Le film L'Expérience interdite 2 pourrait être compris dans ce sens, et les réactions à ce film ont montré la rigidité normative des attentes : déception, indignation, voire colère. Certes le traitement du sujet est parfois caricatural et le choix des illustrations très subjectif, mais certains sujets ont bel et bien vécu de telles expériences.

Cette menace de rejet, assortie de soupçons implicites du style " Il l'a bien mérité ", ne serait que le symétrique de l'opinion opposée mais du même gabarit : " Les expérienceurs ont eu une NDE parce qu'ils étaient à l'origine plus évolués spirituellement que les autres. "

Il faut enfin ajouter an compte des réticences à en parier la terreur rétrospective. Se remémorer ces instants à haute voix devant quelqu'un peut réactiver des frayeurs que l'on a eu beaucoup de peine à enfouir au fond de soi. L'exorcisme du verbe n'est pas certain.

On reproche souvent aux NDE positives une imprégnation de morale Judéo-chrétienne en raison de ses aspects « échelle des valeurs, notion de bien et de mal, responsabilité face aux effets de ses actes ». Ce reproche semble beaucoup plus pertinent en ce qui concerne les NDE négatives. Dans les expériences transcendantes, en effet, ces aspects ne sont généralement pas vécus sur le mode culpabilisant, moralisateur ou « enfant soumis », mais bien plutôt sur celui de la liberté de l'homme à décider de ses actions selon certaines règles de fonctionnement social. En revanche, à l'image de cette imprégnation, les expériences négatives sont corrélées à la culpabilité, la honte, la terreur, ainsi que la croyance largement entretenue que les tentatives de suicide provoqueraient des NDE négatives 3.

Aux Etats-Unis Bruce Greyson et Nancy Bush ont rassemblé près de 200 cas de NDE négatives. Elles auraient tendance à se résorber en NDE positives.
 
 

L'idéal lointain des enquêtes prospectives

Les enquêtes dites prospectives visent à mesurer la fréquence d'un événement en calculant son occurrence sur une population définie dans l'espace et le temps. Pour les NDE, il s'agirait d'interroger tous les patients d'un service de réanimation sur une période de temps donnée, pour savoir si oui ou non ils ont eu une expérience dont ils se souviennent, de mesurer à l'aide d'un barème si ladite expérience est une NDE, puis de calculer en pourcentage les NDE ainsi dénombrées.

Très peu d'enquêtes faites à ce jour sont strictement prospectives car les populations sont presque toujours amputées de personnes indisponibles, ininterrogeables ou ne voulant pas témoigner. Consulter en totalité une population hospitalière est en effet difficile à obtenir. Les fréquences obtenues sont donc biaisées ad originem.

Dans le meilleur des cas, nous n'aurions de toute façon que la fréquence des NDE non oubliées ou censurées, et ne saurions toujours pas si tous les mourants passent par cette expérience. Telle est bien, en effet, une des raisons majeures de cette interrogation,

En France, seules 4 enquêtes prospectives hospitalières ont été menées à terme et donnent des fréquences d'apparition de l'expérience beaucoup plus faibles que celles de nos collègues américains. Il reste souhaitable pour faire le clair sur cette question de pouvoir travailler sur de grands échantillons, avec recueil homogène des données. Les choses ne se présentent pas très favorablement en France à cet égard 4.

Ces enquêtes hospitalières ont été faites dans le cadre de thèses ou certificats de médecine. En 1980, sur 33 sujets interrogés par Patrick Dewavrin, dans un service de réanimation hautement spécialisé, 14 ne se souvenaient de rien, 19 avaient des souvenirs dont 3 NDE, soit 9 %.

F. Menanteau et C. Teulières, en 1982, ont interrogé 19 malades réanimés et n'ont trouvé aucune NDE, soit 0%.

En 1983 Elisabeth Schnetzier et Frédéric Schmitt ont choisi une cause homogène en sélectionnant des malades victimes d'arrêts cardiaques et/ou respiratoires et qui seraient décédés sans ventilation assistée. Sur 40 sujets contactés, 10 cas ont été analysables dont 2 ont eu une NDE, soit 20 % (en prenant seulement les cas analysables). Ils ont ajouté à leur échantillon 4 cas signalés rétrospectivement.

Pierre Dayot, en 1984, s'est focalisé sur des cas de malades réanimés d'un arrêt cardiaque et/ou respiratoire. Seuls 16 rescapés d'arrêt cardio-circulatoire ont pu être valablement interrogés dont 1 a rapporté une NDE, soit 6%.

Nous totalisons donc 6 expériences étudiées sur la France en 4 enquêtes hospitalières prospectives. Encore faut-il préciser que ces 6 expériences étaient très limitées et n'ont pas été l'objet d'un travail de recherche très détaillé. L'homogénéité décidée des échantillons et leur nature sont peut-être à l'origine du faible nombre de patients interrogeables et du faible taux de NDE trouvé.

Les premières enquêtes américaines de Kenneth Ring et Michael Sabom publiées cri 1980 et 1982 ont porté sur 59 et 78 entretiens prospectifs avec des fréquences de NDE de 39 % et 43 % 5.

Il existe à ma connaissance, dans le monde, fort peu d'enquêtes portant sur des échantillons prospectifs (pour une recherche organisée officiellement depuis quelque 10 ans) : aux 59 et 78 cas de Ring et Sabom il faudrait ajouter 61 cas d'une enquête de Bruce Greyson de 1986 sur les tentatives de suicide : fréquence = 26%, et 40 cas d'enfants étudiés par Melvin Morse et alii en 1986 : fréquence = 17,5%.

Ainsi, en ce qui concerne les échantillonnages effectués dans les conditions les plus proches possibles des méthodes statistiques reconnues, on obtient un total de 316 témoins interrogeables sélectionnés sur des critères de proximité de la mort, 86 NDE étudiées et des fréquences d'apparition de l'expérience allant de 0 à 43 %.

Bien des théories et applications considérées comme sérieuses et fiables n'ont pas bénéficié à leurs origines d'autant de cas vérifiés.
 
 

Une expérience rare, mais non anecdotique

Ces réserves se devaient d'être faites. Nous disposons néanmoins d'un stock de données suffisant pour rendre compte objectivement de l'expérience. Si ]'on considère l'ensemble des expériences recueillies prospectivement ou rétrospectivement, d'origines et de définitions diverses, publiées à ce jour, on se situe aux environs de 3 000 NDE.

Le phénomène est peut-être rare à l'échelle de la population mondiale, mais on ne peut le qualifier d'anecdotique, reproche souvent formulé par ceux qui veulent ignorer le phénomène. Ces expériences ont été relevées par des chercheurs indépendants dans différentes parties du inonde. Les témoins n'avaient pas eut de contact entre eux et pour la plupart ignoraient préalablement l'existence des NDE. Certains sont restés longtemps dans la croyance de leur isolement,

Une chose est évidente dès que l'on procède soi-même à des interviews : les témoins ont un souvenir si gravé de leur expérience qu'ils manifestent une grande liberté vis-à-vis du modèle établi par Moody. Ce modèle leur sert même de référence négative : " les autres ont vécu..., mais moi... "

Le phénomène est encore moins anecdotique dans son contenu et dans les questions qu'il pose intrinsèquement. Nous ferons d'ailleurs peut-être plus de découvertes avec une recherche en profondeur sur quelques témoins jouissant d'une grande acuité de perception et de discernement.

Le minimum d'instinct scientifique impose de ne pas détourner son regard d'une expérience qui rassemble autant d'opportunités d'interroger le réel dans toutes ses dimensions.
 
 

1. Les tests de personnalité qui ont été jusqu'à présent analysés montrent un profil normal avec une légère augmentation (non pathologique) de l'échelle de paranoïa. Cela peut fort bien s'expliquer compte tenu du climat de suspicion entourant encore ces expériences. Les témoins sont hypersensibles à tout ce qui pourrait ressembler à une accusation de délire.

2. L'Expérience interdite de Joël Schmumacher, sorti en France le 9 janvier 1991, raconte l'histoire de quatre étudiants en médecine qui se provoquent des arrêts cardiaques et se réaniment ensuite, pour expérimenter l'approche de la mort. Le film, traité comme un thriller fantastique, est très focalisé sur la phase panorama de la vie de la NDE dont il n'en développe quasiment que les aspects culpabilisants ou terrifiants. Mais il comporte aussi beaucoup d'autres traits de la NDE. Le parti pris du cinéaste avait peut-être pour but de décourager les tentations de se provoquer artificiellement des NDE. On oublie effectivement trop souvent que 60 à 70 % des rescapés ne se souviennent pas d'une NDE. Voir les analyses qui en ont été faites dans le Bulletin de IANDS-France n' 9 et Le Troisième Millénaire n' 19.

3. Voir l'article de Bruce Greyson dans ce même chapitre.

4. Actuellement l'enquête principale IANDS-France a bien démarré pour son échantillon rétrospectif : 35 interviews ont été menées avec le protocole remanié. Côté enquête prospective en milieu hospitalier, certains chefs de services d'anesthésie-réanimation, cardiologie, neurologie, pneumologie ont donné leur accord de principe pour une collaboration sur ce projet et notre protocole est passé en Comité d'éthique. Mais compte tenu des recommandations de la CNIL en matière de protection des personnes, il est peu probable que nous puissions faire de réelles enquêtes prospectives. Les sujets ne pouvant être contactés directement par nous et disposant de l'initiative de répondre ou pas, nous ne pourrons différencier une absence de réponse d'une absence d'expérience. La seule solution restante serait une enquête faite par un chef de service hospitalier dans son service, ce qui limite humainement la dimension des échantillons

5. Kenneth Ring, Sur la frontière de la vie, Laffont, 1980 ; et Michael Sabom, Souvenirs de la mort, Laffont, 1982.

 

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2.

INVARIANCE ET MULTIPLICITÉ DES EXPÉRIENCES DE MORT IMMINENTE

Les prémices d'une grande enquête française

Évelyne-Sarah MERCIER
Anthropologue

 

" Eh bien, disons que je connais toutes sortes de choses parce que je n'ai pas d'histoire personnelle ; parce que je ne me sens pas plus important que n'importe quoi d'autre ; et parce que ma mort est assise avec moi, là. "

Don Juan Matus
Carlos Castaneda
(Voyage à Ixtlan)

Ainsi que nous l'avons vu dans le chapitre précédent, avant l'entreprise IANDS-France on ne peut parler d'enquête conséquente et approfondie sur une population française.

A ce jour quelque 300 Français susceptibles d'avoir vécu une NDE nous ont contactés. Afin de tester le questionnaire mis au point par les chercheurs de l'IANDS, j'en ai sélectionné une trentaine essentiellement sur la région parisienne (pour seules raisons de commodité).

Nous avons rencontré ces témoins de NDE, les avons enregistrés, leur avons laissé des questionnaires complémentaires, puis nous avons retranscrit sur papier, pour les étudier, ces rapports très complets de leurs expériences (une vingtaine de pages par témoin).

Cet article vous en propose une analyse qualitative, élément par élément, aussi proche que possible de l'expression originelle. J'ai voulu privilégier l'aspect « fait brut », en regroupant et juxtaposant ces morceaux de récits qui prennent ainsi force et sens.

Ceux d'entre vous qui connaissent l'expérience y retrouveront les régularités familières qui font l'intérêt de la NDE, mais aussi des enrichissements et des nouveautés 1.
 
 

Analyse qualitative des principaux éléments d'une NDE

Connue pour tout phénomène humain, les descriptions de l'expérience varient et convergent tout à la fois.

Les modalités de certaines phases paraissent parfois réellement différentes. Si l'on prend la seule sortie du corps, on peut avoir :

-" je suis sortie de mon corps à une vitesse vertigineuse ",

- ou " je me suis détachée en même temps que prenait l'anesthésie ",

- ou encore " j'ai été aspirée ".

Après tout, il y a quasiment autant de façons de monter un escalier que d'humains. Mais il y en a de plus efficaces ou de moins dangereuses, de plus conscientes ou de moins entraînées 2.

Pour certaines composantes, les modalités ne semblent varier qu'en fonction d'idiosyncrasies et/ou d'imaginaires individuels. Nous savons que l'imaginaire peut dépendre de nos réactions singulières aux stimuli, mais aussi d'autres facteurs à déterminer. Certains témoins vont dire " je flottais ", d'autres " je planais ", ou " je volais ". En l'occurrence, le sujet semble exprimer le même état d'apesanteur en fonction d'une plus grande sensibilité à l'élément eau ou air.

Des programmes de recherche particuliers sont en train de se constituer pour explorer ces hypothèses 3.
 
 

Deux nouveautés importantes.

Tout a-t-il été dit sur les phases et les circonstances de la NDE ? Le modèle « Moody » jouant comme une nonne, on peut s'attendre à des autocensures. Ainsi, à ma connaissance, deux nouveautés me sont apparues qui n'ont pas encore été portées à l'attention du public.

La première est que nous devrions peut-être ajouter une phase (stage, degré) aux modèles américains : l'expérience du vide. Ce vide n'est pas total 4 puisqu'il y a encore « conscience de » et mémoire, perception d'un état d'être, vécu psycho-affectif, et tonalité affective particulière : une sorte de stase de l'activité mentale, sans forme ni son, mais avec état de lumière, équanimité accompagnée d'un sentiment d'indicible bien-être non terrestre. Il n'est pas exclu qu'il puisse y avoir une phase de vide réel

Cette phase serait à différencier des moments de perte de conscience ou des passages dans un néant gris ou obscur qui se produisent parfois au cours de la NDE. A ces passages sont souvent associées de l'angoisse et de la solitude. Elle serait également différente du vécu d'amour, fusionnel et extatique, de la lumière.

L'autre élément nouveau concernerait les circonstances de l'expérience. La relation sexuelle n'a pas été jusqu'à présent comptée au titre des déclencheurs de l'expérience. Ayant reçu des témoignages en ce sens, j'ai pu vérifier que certains chercheurs américains étaient parfaitement au courant.

Il faut beaucoup de courage pour oser témoigner de ces circonstances, mais deux femmes ont franchi le pas, l'une d'elles après 20 ans de silence. Le récit en a été difficile, mais libérateur. A la suite de sa NDE et de façon instantanée, sa vie s'était effectivement transformée dans le sens d'une démarche religieuse et initiatique. Mais comment en parler et être prise au sérieux quand, même avec mort imminente, la NDE provoque encore des sourires ?

Qu'y a-t-il donc de commun entre la petite mort (autre nom pour l'orgasme) et celle qui mettra un terme à nos jours ? Probablement un lâcher-prise du contrôle et un relâchement de la conscience permettant son état modifié ; à un niveau plus concret, la petite mort peut fort bien avoir provoqué un bref arrêt cardiaque, ou un équivalent neurophysiologique. La conjonction d'Eros et Thanatos visible dans la NDE apparaît, dans cette circonstance, illustrée et renforcée.
 
 

Imminence de la mort

L'imminence de la mort est-elle nécessaire pour qu'advienne une NDE ?

La simple croyance en sa mort proche peut-elle la déclencher ? La perception ou la conviction doivent-elles être conscientes ? D'autres se sont posé la question avant nous.
 
 

Recherches faites sur la corrélation entre l'imminence de la mort et la NDE

Melvin Morse 5, en 1986, a subdivisé un échantillon de 40 enfants en deux groupes : d'une part 11 enfants ayant subi une atteinte physique très grave avec un taux de mortalité supérieur à 10%, d'autre part 29 enfants atteints sérieusement, mais dont l'affection n'avait pas un taux de mortalité significatif Dans le premier groupe, il a trouvé 7 NDE, soit 64 %, et dans le second aucune.

0wens. Cook et Stevenson 6, à partir d'un échantillon de 58 expériences, dont la plupart s'étaient perçus en imminence de mort, ont comparé les 28 cas réellement proches de la mort avec les 30 cas de personnes dont le dossier médical ne confirmait pas leur conviction de s'être trouvé dans cette situation. La phénoménologie des deux groupes s'est révélée identique, mais avec des différences importantes et significatives en ce qui concerne la lumière et les facultés cognitives bien plus développées en situation de mort imminente.

Par ailleurs une étude de 1989-90 de Stevenson, Cook et Mc Clean Rice a montré que, sur 40 expérienceurs persuadés d'être proches de la mort, 55 % ne l'étaient pas, et 45 % l'avaient été réellement. La différence se faisait également sentir au niveau de l'OBE 7 : la vision de leur corps physique de l'extérieur était rapportée par 65 % de ceux qui avaient réellement frôlé la mort, mais par 43 % de ceux qui avaient seulement cru mourir.

En somme, on a plus de chances d'avoir une « grande NDE » si l'on est réellement près de la mort, mais un stress psychologique suffit à la provoquer.

Chercher un déclencheur, c'est se situer dans une logique linéaire mal adaptée à un processus qui semble complexe. L'analyse des 26 expériences montre une diversité de cas dont les approches statistiques a priori plus rigoureuses ne rendent pas compte. Ce qui me soutient dans l'idée qu'une étude qui se limite à la phénoménologie de l'expérience elle-même et à ses circonstances (comme le font ces approches descriptives) risque d'en laisser échapper les ressorts.

L'appréhension de l'origine d'une NDE se trouve encore compliquée par l'existence de plusieurs NDE ou de plusieurs anesthésies, ou encore de plusieurs accidents sans systématisation de l'expérience chez les témoins : il peut y avoir chez un même sujet plusieurs occasions d'avoir des NDE, dans des circonstances similaires ou non, sans qu'il y en ait à chaque fois, ou avec plusieurs NDE différentes, et cela sans logique apparente d'un avant et d'un après. Nous avons quand même 7 témoins de l'échantillon dans ce cas.

Il n'est pas non plus certain que l'on puisse invoquer un type d'anesthésique puisque l'expérience peut se produire avec ou sans anesthésique et qu'un même sujet, endormi par le même anesthésique, peut avoir ou ne pas avoir de NDE.
 
 

Que pouvons-nous dire en ce qui concerne notre échantillon ?

Il était nécessaire, pour avoir une idée de la corrélation entre proximité de la mort et NDE, d'établir une classification minimale entre les expériences collectées. J'ai ainsi divisé les expériences en trois catégories, selon la présence des éléments suivants : OBE *, passage, déplacement vers la lumière, expérience de la lumière, accès à une autre dimension, rencontre d'entités.

Le procédé est assez rudimentaire, mais les résultats paraissent significatifs. Cette classification ne rend pas bien compte de l'aspect qualitatif de l'expérience bien que celui-ci, en fait, dépende beaucoup de l'expérience de la lumière, reconnaissable entre toutes. J'ai fait intervenir la dimension qualitative, notamment celle des changements, en cas de doute,

Est appelée « NDE caractérisée » une expérience comportant 3 de ces éléments et plus. Est appelée NDE limitée une petite NDE (comportant donc moins de 3 éléments). Est appelée pseudo-NDE une expérience qui, malgré certaines analogies, peut difficilement être assimilée à une NDE : simple OBE, voyage en astral, passage dans une autre dimension psychique ou physique.

Il est encore difficile de différencier NDE et pseudo-NDE, car on sent qu'il existe des mixtes et des continuums, avec toutefois un saut qualitatif dans les « grandes NDE ». Le changement de vision du monde est, cependant, très similaire pour les trois catégories.

65 % des sujets se sont crus en mort imminente. Pour ceux qui l'étaient probablement, on observe une forte majorité de NDE caractérisées. Pour ceux dont l'état critique était incertain, nous n'avons qu'une faible minorité de NDE caractérisées.

Les expériences sans perception de mort imminente ne représentent que 35 % de l'échantillon. On a alors une petite moitié de NDE caractérisées.

Les cas de pseudo-NDE on de NDE limitée sont prépondérants, quand la gravité de l'état est incertaine.

Il semble que les sujets apprécient assez justement la gravité ou la non-gravité de leur état (71 et 78 %, contre 29 et 22 % d'erreur).

L'incidence du facteur psychologique sur le déclenchement de la NDE est difficile à évaluer. La seule croyance en sa mort imminente (sans état réel constaté) ne paraît pas très déterminante puisque, dans ce cas, sur la totalité de la population, on n'obtient que 4 % de « NDE caractérisées ». Mais, dans le cas d'un état grave non perçu consciemment, nous avons aussi 4 % de « NDE caractérisées ». Taudis que la proportion de « NDE caractérisées », sans croyance (exacte) en un état proche de la mort, s'élève à 12 % de l'échantillon total.

Il apparaît donc que la présence de « NDE caractérisées » est nettement plus importante dans le cas d'une imminence de mort réelle et perçue que dans celui d'une circonstance ne mettant pas en danger la personne. Sur la totalité de l'échantillon, un état proche de la mort (qu'il soit conscientisé ou non) est corrélé avec 42 % de NDE caractérisées, alors qu'un état sans danger ne l'est qu'avec 16%.

Par ailleurs, les « grandes NDE »(comportant 4 éléments et plus) se sont produites à 90 % en état proche de la mort, dont seulement 4,5 % sans conscience d'y être.

Nous avons donc une confirmation des études précédentes. Le physiologique serait prédominant, avec effet de renforcement du psychologique, mais un déclencheur psychologique reste possible.

Une réelle proximité de la mort, cependant, reste déterminante pour qu'advienne une NDE caractérisée.

Concernant tous ces types d'étude, sur grands nombres on pas, n'oublions pas que mesurer des corrélations est indicatif Cela ne prouve ni n'explique quoi que ce soit. La mise en évidence de tendances ne doit pas masquer la complexité des processus.

Deux témoins illustrent l'ambiguïté de cette réflexion et l'aller-retour inévitable entre l'intime conviction et la rationalisation.

Avant son départ pour la maternité, l'une de ces femmes, Mme M., s'était sentie prête à mourir, à quitter ses proches ; pendant l'expérience " elle n'avait plus peur de la mort puisqu'elle n'appartenait plus à la vie ", mais après l'expérience elle met en cause des processus chimiques et considère qu'elle n'avait été qu'au seuil de la mort.

La seconde femme, Mme C., a vécu, sans approche réelle de la mort, une expérience qu'on ne peut qualifier de NDE (pseudo-NDE). En plein coeur de son expérience, elle avait le sentiment profond d'être morte, Pourtant, si ou lui pose la question, elle répond qu'elle savait qu'elle ne l'était pas, puisqu'elle n'était qu'évanouie.

Or, on constate pour la première une absence de répercussions, pour la seconde des changements quasi classiques. La différence semble être l'interprétation et l'intégration de leur expérience. Ce point sera discuté en conclusion.

A l'image de ces sujets, bien que ce soit moins flagrant dans la plupart des cas, on sent que stress psychologique et stress physiologique peuvent jouer indépendamment ou se provoquer mutuellement. Sans danger de mort apparent, une déconnexion peut se produire. La notion de mort est elle-même très paradoxale : constatée à un niveau plus subtil que le verdict médical, elle est à la fois reconnue et niée par le même sujet ; reconstruite rationnellement, elle peut être aussi bien refusée par une démarche logique.
 
 

Les signes avant-coureurs.

Qu'est-ce qui fait qu'une personne est persuadée d'être morte ou en imminence de l'être ? De nombreux témoins ont eu l'occasion d'enregistrer, en état d'inconscience, les propos des médecins. Si cela se passe bien pour l'expérienceur, il n'en éprouve aucune alarme ; si ce n'est pas le cas, le vécu peut être désespéré 8 ; les phrases entendues, en effet, ne laissent pas de doute

- " arrêt cardiaque, il semblerait qu'elle soit morte ",

- " arrêt des fonctions vitales ",

- " elle me claque entre les mains ",

- " la jeune mariée, elle s'en va ".

Soit les témoins sont d'accord avec le verdict, parce qu'ils en ont eux-mêmes la conviction, soit ils ne le sont pas, parce que leur vécu est contradictoire :

Inanimée après une asphyxie, arrivant à l'hôpital, une femme entend l'infirmière demander : " Depuis combien de temps est-elle dans le coma ? " et se dit : " Elle est complètement folle, je suis parfaitement bien ! " Un poil plus tôt, les propos des pompiers lui avaient semblé tout aussi incongrus.

Au médecin qui demandait : " Alors vous vous êtes trouvée mal ? ", une autre femme répondait obstinément, à la fois sérieusement car le paradoxe est extrême, mais non sans humour : " Non, je me suis trouvée bien. "

Plus forts qu'un constat médical entendu alors que les expérienceurs sont pour la plupart déjà " partis ", certains indices semblent les renseigner sur leur état. L'impression qui se dégage est que bien en deçà d'un conditionnement culturel, le corps sait reconnaître instinctivement le début de sa fin. On ne ressent pas du tout au contact des témoins ou à la lecture des interviews une vérification de leurs présupposés concernant la mort. Il semble y avoir comme un fossé entre les apprentissages mentaux et les vécus corporel et psychique. Ce n'est qu'après expérience que la réflexion s'amorce et fait les liens. La surprise, mais non le choc, prévaut à cet instant, car en même temps que se constate l'imminence ou l'état de mort apparaît l'état de bien-être et la continuité de la conscience 9.

C'est essentiellement la sensation de séparation du corps qui fait que le témoin se croit mort. Déduction tout à fait rationnelle puisque nous avons naturellement tendance à associer l'état de vie à l'état corporel 10. L'indice d'un mouvement, soit intérieur, soit interne-externe, est l'impression la plus courante venant à ce moment-là. Elle se traduit fréquemment par " Je m'en vais. "

Cette évidence n'est pas ressentie comme inquiétante " Ce n'était ni paniquant ni désagréable ", " Je trouvais que c'était facile ", " J'étais simplement étonnée de constater que je vivais en dehors de mon corps. "

L'explication de cette simplicité tient à deux éléments qui font également comprendre au sujet son état : la coupure sensorielle et le détachement affectif,

La coupure sensorielle est peut-être plus qu'un indice et illustre l'intrication physique-psychique. Dans le cas de NDE sous hypnose, l'expérience s'est déclenchée sur l'injonction " Tu ne sens plus rien ", ce qui est un ordre de coupure sensorielle. Par ailleurs, K.L.R. Jansen 11 suggère qu'il pourrait exister un substratum neurologique de la privation sensorielle : un système d'ouverture ou de fermeture de la porte des stimuli externes. Selon lui, sa fermeture pourrait faire remonter en surface les souvenirs anciens. Mais ne pourrait-elle aussi ouvrir la psyché au monde intérieur et à d'autres mondes ? L'énergie libérée du traitement des stimuli externes pourrait s'investir ailleurs et donner lieu à l'expérience.

Deux autres indices physiques et un indice psychique sont cités. Le premier est une sensation : la montée d'un froid qui n'est pas un refroidissement extérieur : " Moins 30° au-dehors ou séjourner dans un frigo n'est rien à côté de cette sensation. " C'est un froid intérieur qui monte depuis le bas du corps, ou se propage en même temps que l'anesthésique. Il est tout de suite identifié comme le froid de la mort. Le second est une indication pour le corps médical. Il semblerait que l'expérience advienne lorsque la tension artérielle est inférieure à 2 : c'est le chiffre le plus bas qui ait été entendu avant que l'expérience ne se déclenche.

Enfin, le lâcher-prise, le renoncement au contrôle, l'acceptation de l'inévitable semblent être un préalable au départ de la NDE. Cette idée ne surprendra ni les chercheurs sur les états modifiés de conscience ni les familiers des diverses diverses pratiques orientales de méditation

Il semble donc que la perception de sa mort imminente tienne plus à une intime conviction qu'à l'audition d'un verdict médical. Cette perception est paradoxale : le témoin comprend son état de mort, mais constate une sensation de vie dans ce qu'il croit être la mort. Il en déduit que la mort n'existe pas, ou encore, que " la mort, c'est la vie ". Certains interprètent ce surprenant constat, après coup, dans une logique binaire, mais a priori irréfutable : " Je n'étais donc pas mort. " Les deux logiques sont parfaitement acceptables puisque personne ne sait ce qu'est la mort.

Au terme de cette brève analyse, je pense que quelques indices concrets d'imminence de NDE ou d'imminence de la mort mériteraient attention : coupure sensorielle, détachement affectif et corporel, tension artérielle, décision de renoncement.
 
 

L'expérience hors corps

Relativement à notre image du monde et de nous-mêmes, la sortie du corps 12 est probablement l'élément le plus irréductible de la NDE. Tout d'abord en raison d'un vécu personnel à proprement parler extraordinaire, qui bouleverse tout. Mais surtout, pour l'ensemble des hommes, en raison des informations récoltées par le témoin, théoriquement impossibles à obtenir avec les instruments de perception ordinaires, mais qui sont souvent objectives et vérifiables. L'objectivité en question atteint au moins, sinon plus, le seuil de celle jugée acceptable par un tribunal. Les éléments dont il est tenu compte pour juger de cette impossibilité sont : la situation spatiale du corps physique, son état inanimé, la non-reconstitution des informations par connaissances préalables ou perceptions inconscientes ; quant aux observations vérifiées, elles concernent : des objets, des scènes, des propos ou des pensées. Le corps médical peut même se voir reprocher (à bon escient) par l'expérienceur une falsification de compte rendu d'opération, ce dernier ayant observé autre chose pendant l'acte chirurgical. L'honnêteté nous oblige à mentionner aussi " certains délires " post-opératoires de patients sur ce qui s'est réellement passé. Ces faits sont connus et cités par les médecins, qui omettent en revanche souvent de parier des cas non hallucinatoires. Peut-être n'ont-ils pas voulu l'entendre ou peut-être le témoin s'est-il abstenu de le leur raconter, se rendant compte du caractère explosif de tels propos. Une de nos expérienceurs, ayant spontanément raconté à son chirurgien tout ce qu'elle avait vu pendant l'observation, s'est vue menacer d'internement dans un service psychiatrique. Cette réaction est " normale ", dans le sens où la notion du monde partagée par le plus grand nombre gouverne la notion de normalité, mais moralement elle signifie que le médecin préférait rejeter " la folie " sur sa patiente que se poser la question de la sienne.

La grande précision de certaines de ces observations (position d'une aiguille sur un cadran, geste opératoire) tendrait à disqualifier l'hypothèse de perceptions extra-sensorielles (clairvoyance, clairaudience, télépathie) qui sont le plus généralement approximatives ou transposées.

Quatorze témoins de l'échantillon ont vécu une sensation de sortir de leur corps, soit 53 %, dont 13 (50 %) avec des observations objectives qu'ils n'auraient pu faire de l'endroit où se trouvait leur corps physique : que ce soit leur corps, la salle dans laquelle celui-ci se trouvait ou un autre espace du monde habituel situé à distance. On appelle généralement ce quelque chose qui sort, observe et ressent " entité immatérielle ".

La caractéristique hors corps de cette entité immatérielle est loin de faire l'unanimité. De nombreux psychiatres ou psychologues considèrent qu'il n'y a ni réelle sortie du corps, ni entité interne ou externe.

Pour avoir une expérience de décorporation, il suffirait, selon Susan Blackmore 13, que se maintiennent ensemble une activité mentale logique, une imagerie vive ainsi qu'une faible activité de la conscience, celle-ci n'étant plus absorbée par les afférences sensorielles. En état hypnagogique, par exemple, les stimulations intéroceptives qui constituent l'image du corps disparaissent et sortent du champ de la conscience, Celle-ci peut s'attribuer un deuxième corps situé au plafond dans lequel elle se situe et peut projeter alors cette image du corps au loin sur le lit.

Bien que cet auteur ne fasse pas le saut jusqu'à l'OBE, il faudrait citer dans cette lignée Didier Anzieu et ses concepts d'" enveloppes ". Analogiquement avec la peau, Didier Anzieu construit un schéma topographique de l'appareil psychique. L'enveloppe psychique se composerait d'une couche externe faisant écran aux stimuli extérieurs (le pare-excitation), et d'une pellicule interne tournée vers le monde intérieur et mettant en relation les deux mondes. Le pare-excitation fonctionnerait en termes de force et la pellicule en termes de sens. L'articulation de ces deux couches serait variable selon les individus. Une configuration spécifique serait responsable des états-limites (entendu au sens psychiatrique) : non plus emboîtées et superposées, ces enveloppes se continueraient en bande de Moebius ; ce qui expliquerait dans ces états, la confusion entre dedans-dehors, contenant-contenu. Cette approche plus fine est extrêmement intéressante et ouvre tout un champ de conceptualisations, mais il est symptomatique de voir que les mêmes termes : état-limite et bande de Moebius, sont ici conçus dans une acception pathologique quand le Transpersonnel les utilise dans une dimension alternative. L'option de Didier Anzieu, probablement liée à une orthodoxie freudienne, réduit le champ du réel, tandis que l'option transpersonnelle l'ouvre dans une ambition de dépassement 14.

Certes, il est nécessaire d'affiner la conception de décorporation, mais il faudrait littéralement exécuter des contorsions pour faire rentrer toutes les observations des expérienceurs dans un modèle tel que celui de Mme Blackmore on dans l'interprétation de Didier Anzieu.

Pour rendre compte de cette entité qui se sépare du corps physique, le mieux est de rester très descriptif, comme si des cosmonautes, revenant d'un voyage interplanétaire, racontaient aux terriens les espèces entrevues dans une autre galaxie. C'est donc ce que nous allons faire, en tentant de déceler une cohérence dans cette accumulation d'observations.
 
 

Le corps physique et l'entité

Les différentes modalités de sortie et de retour dans le corps

Certains se sentent sortir et rentrer, d'autres rentrer mais pas sortir, d'autres enfin ne sentent pas de processus d'extériorisation mais se sentent en dehors.

La sortie peut être douce : " Je me suis sentie soulevée dans de la ouate " ou " portée dans du coton ", " vous flottez, c'est curieux, vous vous sentez partir ", " la montée a été lente, J'avais l'impression que le plafond s'élevait en même temps ", " j'ai eu une sensation de dégagement ".

Ou très vive : " dans ma deuxième NDE, le corps astral est parti d'un seul coup en entier, il se soulevait tout d'un coup et tout se réintégrait en même temps ", " j'ai été propulsée très vite et très haut ", " j'ai été projetée avec une certaine force jusqu'à la hauteur du plafond, comme si le plafond m'arrêtait provisoirement ; à la deuxième projection, j'ai été projetée encore plus haut, puis ce fut le noir et je ne vis plus rien ", " comme une fusée dans la lumière ", " ça vous catapulte comme une fusée, mais ça ne fait pas de fumée comme Ariane ".

Le mouvement d'aspiration, souvent mentionné, pourrait correspondre à une autre façon de sentir la projection : la force tire au lieu de pousser.

Le conditionnement ou la reconstruction logique apparaissent quelquefois : " je suis partie les pieds devant, comme me chantonnait mon grand-père, « tu t'en iras les pieds devant », puis la tête en bas puisque je voyais tout en m'élevant ", " je me suis retournée pour voir mon corps physique ".

D'autres observations apparaissent comme des curiosités, mais, confrontées à d'autres, elles pourraient procurer une vue plus fine de ce qui se passe : " j'ai fait une espèce de voyage dans mon corps qui partait 14."

Le retour peut s'effectuer par différentes parties du corps, mais les notions de chute, de pesanteur et de place à retrouver sont très significatives : " une plongée verticale, la tête la première ", " comme un élastique ", " je me suis sentie devenir lourde comme une pierre, du plomb ", " je suis retombée dans mon corps comme une pierre ".

" Je me suis vue atterrir et presque stagner avec une espèce de rebondissement, puis, tout à coup, arrêt brusque au-dessus de la salle de réanimation. "

" J'ai réintégré mon corps comme un gant, par la tête, comme si je me réenfilais ", " je l'ai réintégré comme une chaussette en passant par la tête ", " comme si je m'habillais de l'intérieur ", " je m'enfilais dans mon corps ", " je me suis alignée sur mon corps ", " je me suis replacée dans mon corps ", " j'ai eu du mal à retrouver mon volume dans ce corps recroquevillé ".

La mention d'une aspiration ou traction arrière, d'un cheminement inverse de celui de la sortie du corps (jusque dans la lumière), mais à reculons, est souvent mentionnée : " quand le choix se faisait, sensation de prendre feu complètement, impression d'être arrachée dans le dos, de revenir comme si on m'arrachait par le dos ", " il y a eu deux dédoublements, une partie partait vers la lumière, l'autre s'en éloignait à reculons » (ce dédoublement du double est rarement rapporté). Symbolisation ou indication d'un mécanisme physique sont dans ces cas tout aussi plausibles.

Une chose est sûre, le témoin résiste : " je me suis débattue dans le ciel, j'ai eu du mal à échapper à cette emprise ", " après la piqûre intra-cardiaque, je me suis débattue pour ne pas réintégrer mon corps ".

On le comprend à entendre les sentiments éprouvés à cet instant:

" Il faut bien que je rentre là-dedans, dans ce corps qui est en train de souffrir, qui est cassé en morceaux, bardé de tuyaux ", " au retour j'ai eu l'impression que je me noyais ", " j'ai eu une sensation horrible à la mesure de la libération éprouvée à la sortie ", " à la réintégration, j'ai senti une immense douleur ", " au retour, les sensations de brûlure se sont intensifiées. Impression à la fois de brûler et d'être confrontée à un passage ", " très désagréable, tous les sentiments humains me sont alors retombés dessus ".

Si l'on pouvait douter de la sortie, d'une extériorisation, cela devient beaucoup plus clair avec ces précisions. La convergence est très grande en ce qui concerne la réintégration : on a vraiment le sentiment d'une entité interne qui rentre dans un moule.
 
 

Le lien avec le corps physique

La question se posait de déterminer s'il y avait déplacement d'une entité psychique se dégageant complètement ou partiellement, ou bien s'il y avait perception à distance (clairvoyance).

Certains témoins ont perçu qu'une partie d'eux-mêmes se détachait, sans pouvoir préciser plus : " une partie de moi s'en allait ", " une partie de moi s'est détachée ", " c'est une partie qui s'est déplacée ".

D'autres perçoivent que l'entité est à l'intérieur du corps et qu'elle l'anime : " c'est une entité interne ", " le corps physique est devenu vide ", " espèce de reflet du corps physique devenu vide ".

Il peut y avoir autonomisation de l'entité dans laquelle le témoin se situe : " un cavalier tombé de cheval ", " impression de séparation de l'esprit et du corps ", " tout à fait désolidarisée ", " je me suis entièrement déplacée ", " je ne voyais pas mon corps matériel, mais je savais que j'étais en dehors ".

Mais il arrive aussi que l'expérienceur se sente des deux côtés à la fois : " j'ai senti une coupure de mon être, j'étais des deux côtés à la fois ", " j'étais à la fois dans l'eau et en haut à observer ".

On ne sait plus très bien où l'on est : dehors, dedans, dédoublé, désolidarisé, projeté en partie ?

Les témoignages laissent à penser qu'il peut exister toute une continuité entre détachement corporel, dédoublement, extension d'une partie, complète, sortie avec observations sur place ou voyage au loin. Un témoignage récent montre la possibilité d'être en même temps conscient dans son corps, aspiré dans un trou noir, présent dans la lumière, capable de tout décrire au fur et à mesure, avec une tension artérielle de 3 !

La fameuse corde d'argent de la littérature ésotérique n'a pas été citée, mais l'observation d'un expérienceur " entraîné par nature " témoignerait en faveur de l'hypothèse d'une gradation dans le détachement corporel : " J'ai toujours perçu, dans mes nombreuses décorporations antérieures, un lien, une sorte d'élastique lumineux, argenté, incandescent ; mais dans ma NDE la plus grave, il n'y avait plus rien ; c'est alors que j'ai pensé : je vais mourir. "
 
 

Les qualifications du corps physique

La sortie du corps est considérée comme une délivrance : " formidable d'être libérée de ce corps ", " plus de douleur ", " plus mal nulle part ", " on n'est plus prisonnier ".

De façon générale, effectivement il évoque l'emprisonnement, l'horreur, et même le dégoût : " une enveloppe ", " un vêtement, une tunique qui manifestait mon je ", " un habit, une écorce ", " un papier d'emballage bon à jeter ", " dans son corps, on est prisonnier ", " une casemate en béton, toute étroite ", " à l'intérieur c'était inconfortable et raide ", " serrée, engoncée, un étau ", " froid, visqueux, l'horreur ".

La similitude des images, très convaincante, est renforcée par les émotions des témoins exprimées au moment où ils en parlent.

Mais les sentiments éprouvés vis-à-vis du corps peuvent être de la simple indifférence : " je n'avais aucun attachement aucune sentimentalité à l'égard de ce corps ", " je savais que mon corps était en bas, je m'en fichais ", " on aurait pu couper mon corps physique en morceaux ".

Comme nous le verrons plus loin, contrairement à ce que l'on pourrait penser, ces constatations dévalorisantes pour le corps n'entraînent, par la suite, ni dévalorisation, ni négligence à son égard.

On observe donc de nombreuses variations dans les sensations et qualifications que l'on peut légitimement attribuer aux singularités individuelles. Dans ses principaux attributs cependant, le processus de sortie du corps paraît jouir d'une grande cohérence, qui le différencie d'un simple état modifié de conscience dissociant ego corporel et ego mental.

Toutefois, il semblerait qu'il ne faille pas confondre la franche décorporation (autonomisation de l'entité) avec des phénomènes intermédiaires de détachement progressif dans lesquels interviendraient des perceptions extra-sensorielles et leurs interférences projectives.

Il est probable aussi qu'à un moment donné se produit un véritable saut qualitatif
 
 

Identité, poids, densité, forme de l'entité

Identité de l'entité

Les façons de définir l'entité la montrent paradoxalement à la fois la même et autre. Elle est définie par des critères fort différents, mais correspond le plus souvent au siège du " je ",

Le maintien de l'identité peut être simple : " j'étais, c'est tout ", " ce que j'étais me suffisait amplement ", " simplement étonnée de constater que je vivais en dehors de mon. corps ".

Ou spécifié par des composantes psychologiques : " sensation d'un moi ", " mon je, ma conscience, mes pensées, mes sentiments ", " c'était mon moi qui se déplaçait là-haut ", " mon système émotionnel n'a pas cessé de fonctionner ", " quelque chose capable de voir, penser, entendre ".

Quand l'identité de l'entité est perçue comme différente, c'est parce que, avec la persistance du sentiment de moi, coexistent des vécus totalement inhabituels.

L'altérité peut être simple : " j'étais autre chose ", " J'étais une autre personnalité ".

Ou qualifiée par des sentiments allant d'une amplification des émotions à leur disparition, pour laisser parfois place à une seule conscience témoin : " bonheur intense ", " le bien-être total, le paradis ", " plus d'inquiétude, plus de peur de la mort ", " je ne me ressentais plus comme d'habitude ", "je sentais une vie interne sans sensation physique ", " débarrassée des contingences matérielles, plus de besoins ", " indifférente, spectatrice, pas concernée ", " j'étais témoin ", " détachement total ", " un oeil qui se promène ".

Bien souvent l'expérienceur recourt à des termes religieux, mais ces derniers restent vagues et détachés de leur définition théologique précise : " j'étais un esprit uniquement ", " c'est mon esprit qui se promenait ", " j'étais une âme ", " l'esprit, l'âme ", " l'âme des chrétiens ".

Les variations ne sont, au fond, pas très divergentes. Elles marquent surtout des angles d'observation différents, une réflexion plus ou moins approfondie. Tout semble dépendre de la. focalisation de la mémoire sur telle ou telle caractéristique, tel ou tel moment de l'expérience. Permanence d'une identité et altérité coexistent, puisqu'il s'agit finalement d'un aspect essentiel de l'expérience : se découvrir permanent et totalement différent.
 
 

Poids et densité de l'entité

La première des caractéristiques mentionnées de l'entité est son extrême légèreté, voire son absence de poids : " très léger ", " tellement léger ", " aucun poids ", " comme une plume ", " libération d'une lourdeur ".

L'entité est apparemment d'une matière aux propriétés étrangères à celle qui nous est familière. Elle est invisible pour le commun des moi-tels et pour beaucoup de témoins. Ce qui la fait définir habituellement comme immatérielle et invisible.

Il faut nuancer : son invisibilité n'est pas générale, ni pour les expérienceurs - qui la voient d'ailleurs sous des foi-mes diverses -, ni pour les humains dont certains ont eu l'occasion de percevoir quelque chose qui se détachait au moment du passage dans la mort.

Il est quelquefois question d'une substance : " beaucoup plus subtile ", " je voyais un double astral mais très fluidique, beaucoup moins " solide " que lors de mes dédoublements antérieurs ".

Cette matière a la capacité de traverser le corps humain : " J'ai essayé de mettre la main sur l'épaule de mon beau-père et ma main a traversé son corps. "

Elle peut traverser de la matière plus solide : " je prenais conscience de traverser les murs ", " dans les dédoublements, plus rien n'est en matière finie, tout est électrons en mouvement, on peut donc passer au travers ".

En fait, ce n'est plus tant l'entité qui peut traverser la matière qu'une absence soudaine de matière " terrestre ", " et puis, c'est comme s'il n'y avait plus de plafond, plus de murs ".
 
 

Forme de l'entité

Les formes de l'entité peuvent se décliner en quatre catégories :

- conservation du corps physique (lui-même, son double, sa mémoire ou son futur) : " c'était mon corps qui se promenait, le même que celui sur, terre ", " je sentais la forme de mon corps, j'étais entière, pas comme une âme ", " je voyais mon corps, je me reconnaissais ", " j'avais un deuxième corps, comme mon corps physique ", " pas de sensation corporelle, mais le schéma du corps autour ", " c'était mon corps du futur ";

- perte du corps physique : " plus de physique, plus de vêtements, même pas un oiseau ", " pas de tête, pas de bras ", " ni bouche ni bras, plus rien ", " je ne me suis pas vu de corps ";

- forme indéterminée : " Je ne me souviens pas d'avoir remarqué si j'avais un corps ", " quelque chose comme ça qui flottait ";

- forme nouvelle : " comme un atome projeté dans la lumière ", " une petite molécule qui se baladait là-haut ", " une boule, un petit nuage ", " comme les autres, j'étais un gros globule blanc 14 ".

Il est difficile de déterminer ce qu'il en est. On dirait que l'on va d'un besoin de reconstruction de l'apparence physique habituelle à une acceptation de sa transformation permettant la perception d'une autre réalité. Une étude de la relation des témoins à leur propre corps pourrait donner des indications sur ces variations.

 

Propriétés, capacilés, perceptions de l'entité immatérielle

L'entité est dotée de capacités à la fois comparables à celles du corps humain et d'autres qui vont bien au-delà. Elles sont maintenant bien connues. Toutes celles décrites à l'origine sont présentes dans l'échantillon français.
 
 

Observations

L'entité est capable d'observer et de restituer ce qu'elle a vu, après réveil du corps. Elle enregistre des faits, des paroles, des pensées, des objets, des odeurs, des touchers, des paysages du monde physique ordinaire on d'un autre monde apparemment régi par d'autres lois et apparences.

L'entité observe le monde ordinaire à partir d'endroits inhabituels ou impossibles pour le corps physique, et pour 13 de nos témoins, d'un lieu d'où leur corps physique inconscient n'aurait pu voir.

La première observation concerne le corps physique, d'une position généralement élevée : " comme si j'étais au balcon du premier étage ", " j'ai vu mon corps à 1 m 50 ", " j'étais 3 mètres au-dessus ", " j'étais au plafond ", " j'ai vu mon corps au-dessus comme un mannequin ", " j'ai pensé en voyant mon corps : Ma fille, tu n'es pas à ton avantage, cadavérique, verte, pleine de tuyaux ", " ce corps mort sur la table et moi partie ".

Les observations peuvent englober l'environnement et les gestes accomplis : " j'ai vu le chirurgien découper au scalpel mon ventre tout bleu ", " j'ai observé la technique de l'opération et l'ai reproduite par la suite des centaines de fois ", " je voyais trois femmes en blanc, paniquées ", " en voyant la scène j'ai pensé : Mon frère me voit nue, cela m'embête un peu ", " je voyais tout de 300-400 mètres : ma mère, les tunisiens avec les bâtons, mon corps en foetus, noir, violet, la tête entre les jambes ", " une partie de moi voyait les hommes qui faisaient la chaîne pour le sauvetage ", " je voyais tout ce qui se passait au dessous, j'étais très surprise ".

Les observations s'étendent aussi à des lieux éloignés : " puis j'ai pensé à visiter la maison, j'ai traversé la cloison, les pièces étaient sombres, je suis revenue ", " j'étais deux étages au-dessus, regardant l'infirmière enlever précipitamment ses bigoudis et j'avais envie de lui dire de se dépêcher et d'aller voir en bas, où je me trouvais aussi ", " j'ai approché, par focalisations successives sur la ville, l'hôpital, la chambre ", " j'ai pensé à eux et me suis trouvée instantanément dans la salle d'attente (je n'avais jamais eu l'occasion d'y aller) ; j'arrive et je me fais la réflexion : Mais c'est drôle pour une salle d'attente, il n'y a ni banc ni chaises (j'ai vérifié ensuite avec mon mari) ".

Les observations peuvent également se faire en plusieurs lieux à à la fois : " je voyais aussi à plusieurs centaines de mètres ma grand-mère dans sa maison ", " j'étais partout dans la clinique ", " j'avais accès à tous les lieux ".

Une question reste en suspens : s'agit-il d'un déplacement ou d'une ubiquité ? Les deux peuvent se produire selon les sujets, voire chez un même sujet à des moments différents.

Quand il y a déplacement, celui-ci se fait selon des vitesses différentes : de la lenteur à l'instantanéité en passant par la très grande vitesse. Pour cette dernière, les témoins pensent spontanément à la comparer à la vitesse de la lumière, soit aussi rapide, soit plus rapide ; il s'agit de sortie du corps, ou d'attirance ou d'attraction par la lumière, ou encore de la réalisation d'une interrogation : penser à quelque chose ou à quelqu'un semble produire une énergie instantanée de " déplacement vers ".
 
 

Communication

Avec les humains incarnés, l'entité ne peut communiquer : " J'essayais de me manifester à eux, je ne comprenais pas qu'ils ne puissent pas me voir, j'avais 26 ans à l'époque, aucune formation en parapsychologie et je ne pensais pas qu'une telle expérience puisse exister ; si je les voyais, ils devaient me voir et je me suis manifestée à eux, leurs regards me traversaient et j'ai compris ", " je leur répétais inlassablement mon groupe sanguin, sans qu'elles entendent ".

Avec des " non-humains ", l'entité communique, mais pas avec ses organes ordinaires. Le mode télépathique est le plus souvent cité : " je ne parlais pas avec ma bouche ", " ce n'est pas moi qui parlais, c'était mon esprit ".

Peut-être est-ce la raison pour laquelle les humains ne l'entendent pas ?

Mais peut-être aussi n'y a-t-il pas de communication extérieure, seulement extériorisation ou personnification d'informations, Ces informations pouvant être déjà là mais inconscientes, ou accessibles, dans cet état, à un réservoir de données. Ce réservoir lui-même n'est pas nécessairement l'équivalent d'une banque de données sur laquelle on se branche comme en informatique. Il pourrait y avoir coprésence ou cosubstantialité, c'est-à-dire participation à un même champ ou identité de nature : " la voix que j'ai entendue touche à la sphère supérieure ; je l'ai réentendue depuis et je l'ai appelée la voix près du coeur, elle correspondrait à l'émmotionnel de Gurdjieff ", " les questions étaient à peine posées que les réponses étaient arrivées ".
 
 

Organes de perception

Des sens fonctionnent ensemble, différemment, ou dysfonctionnement : " il y avait fusion des couleurs et des sons » (synesthésie), " j'ai vu des oiseaux et des fleurs, mais je ne les voyais pas vraiment, c'était des taches de lumière ", " au retour j'ai vu ma mère (mais pas en chair et en os) en train de prier ", " j'ai entendu le médecin parler, mais je ne suis pas arrivée à traduire ", " la voiture de pompiers était bleue, un des pompiers était roux et l'autre tout noir (en fait le premier était blond platine et l'autre brun) ".

Des sens subsistent : la vision et l'ouïe sont les plus fréquemment citées, mais leurs capacités sont augmentées ou étendues à des objets normalement non perçus : soit irréels (il s'agirait alors d'hallucinations), soit inaudibles ou invisibles pour les organes ordinaires.

Les témoins ont tendance a prendre pour réelles leurs perceptions, donc à postuler l'apparition de nouvelles capacités mais ne vont pas plus loin que ce constat : " avec quels sens pouvais-je entendre et voir partout à la fois ? ", " d'autres sens se sont éveillés à ce moment-là qui, depuis, ne se sont jamais endormis ".

L'ouïe. A part les conversations réelles qui se sont tenues dans l'environnement de son corps ou au loin, l'entité perçoit toutes sortes de bruits et de musiques, liés à des processus internes ou venant d'ailleurs, " à la montée, comme le chant des baleines ", " j'ai été accueillie par des trompettes d'harmonie, un concert champêtre ", " une musique merveilleuse, une mélodie incomparable ", " un son métallique très fort, un bruit métallique interne comme lié à l'ossature du crâne et en rapport avec le bruit de la planète, mais différent de celui d'une carrosserie de voiture ", " au moment de l'élévation, j'ai entendu un choeur de voix extrêmement beau ; je ne saurais dire s'il s'agissait d'hommes ou de femmes ", " cela ressemble aux musiques modernes synthétiques ", " une musique tellement belle, comme venant de haut-parleurs invisibles, je l'avais déjà entendue à 4 ans ", " une musique très belle, un enchantement, des sons métalliques, ce que j'ai entendu de plus approchant, c'est Equinoxe de Jean-Michel Jarre ", " la musique des sphères ".

La vue est le sens le plus sollicité, ses capacités sont étonnantes. Ses perceptions ne ressemblent pas à des hallucinations, mais plutôt à une percée dans l'invisible.

Elle bénéficie d'une plus grande acuité : " ou a une perception beaucoup plus aiguë ", " ma vue était plus perçante ", " je n'ai que 2 dixièmes à un oeil, et là ma vue était correcte et même multipliée par 10 ".

Elle ne se contente plus d'un angle de 100° : " je voyais partout à la fois ", " je voyais à 360° ", " ma vue était plus globale ", " je voyais devant, derrière ", " j'avais une vision très élargie ".

Elle perçoit différemment les couleurs et leur luminosité : " cette luminosité venait de la matière elle-même ", " les choses étaient non pas éclairées de l'extérieur mais de l'intérieur, c'est-à-dire que leurs propres couleurs et leurs propres lumières venaient d'elles-mêmes ", " les couleurs étaient beaucoup plus brillantes, métallisées ", " on voit tout lumineux, très clair ", " des couleurs comme on n'en voit pas ici, ça m'a dégoûtée de peindre pendant des années ", " j'ai essayé de la reproduire en peinture, sans succès ", " des couleurs qu'on ne voit pas ici, qui se généraient elles-mêmes, des mouvements de terrains ".

Elle pénètre les apparences, mais pas toutes : " je voyais à travers la toile de la tente, mais je ne voyais que le dos de mon ami penché sur moi ", " je voyais à travers le chirurgien ", " j'ai vu un jardin terrestre, mais je voyais toutes les molécules de vie à l'intérieur ", " j'avais la sensation que tout était particules en mouvement, que rien n'était limité, ni au niveau surface, ni rien ", " en arrivant au-dessus de l'hôpital, J'ai tout vu et j'ai poussé un hurlement terrible. J'ai eu la sensation physique que mon cri rebondissait contre les parois de verre ; je voyais mon cri sous une forme d'onde, je le voyais toucher le verre, le déformer un peu avant de revenir, j'ai vu mon cri très matérialisé en tant que vibration dans la pièce ".

Deux sens subsistent mais sont rarement mentionnés. Ils sont peut-être dans certains cas reconstitués par synesthésie : le toucher et l'odorat.

Pour le toucher, la sensation de coton est la plus fréquente, mais l'atmosphère ouatée, brumeuse est souvent décrite ainsi que le fait d'être porté dans du coton. On peut se demander s'il n'y a pas une association et un transfert d'un mode sensoriel dans un autre. On trouve ainsi : " je me suis appuyée sur les fougères ", " j'ai senti de la ouate ", " j'ai touché des fleurs ", " j'ai senti une brise tiède ". Ces sensations étant relatives à des objets " non réels ", il est difficile de vérifier s'il y a ou non autosuggestion.

L'odorat peut bénéficier des mêmes remarques : " j'ai senti les fougères ", " j'ai senti les fleurs ".

Mais une observation se détache des autres par son objectivité : " lorsque je suis arrivée au-dessus du toit, j'ai senti une odeur de formol ; après vérification, il y avait bien un corps traité au formol dans un local, mais personne à l'intérieur de l'hôpital et à l'extérieur de la pièce ne pouvait rien sentir ".

Un sens n'est jamais cité, le goût : la faim est en effet absente des pensées de l'expérienceur. Est-il trop occupé à goûter des nourritures célestes ? La question que nous leur posons sur le goût leur paraît toujours incongrue.

Il se dégage donc, sous la diversité, des constantes rattachées à une entité susceptible de se détacher du corps physique : moins " matérielle " que notre corps, elle dispose de sens propres, d'une certaine autonomie physique et psychologique et semble participer d'un univers plus vaste, aux lois différentes, dans lequel nous serions inclus, mais qui serait aussi à l'intérieur de nous.

S'autonomiser hors de son corps provoque donc l'émergence d'un système perceptif qui pourrait se trouver replié dans le physique, mais, qu'ils se soient sentis décorporés ou non, les témoins évoquent aussi, pendant la NDE, le déploiement de capacités mentales insoupçonnées
 
 

Réflexion, compréhension, connaissance

Le plus fréquemment, le processus de pensée se trouve conservé de façon similaire mais doté d'une puissance, d'une vivacité et d'une acuité nouvelles : " mode de pensée plus rapide et plus profond ", " pensée beaucoup plus aiguë ", " perception beaucoup plus affinée ", " intellectuel, mais pas courant ", " devant mon père, j'ai eu une présence d'esprit incroyable : je suis émotive et là j'ai été spontanée, je n'ai pas réfléchi ", " mode de pensée plus perçant, plus sensible, démultiplié ", " on garde sa conscience avec une lucidité incroyable ", " cerveau extrêmement lucide, examinant le problème ", " impression d'être plus intelligente ", " raisonnement d'une grande logique ", " vitesse incroyable de la pensée, celle de l'éclair ", " c'est la perception des choses qui est plus sensible ".

Mais il fonctionne aussi différemment : " mon mode de pensée était différent, plus rapide, niais surtout différent ".

En procédant de façon globale : " une pensée qui englobe tout ", " impression d'un tout ", " comme si toute ma vie était là ", " globale, non fragmentée ", " compréhension universelle ", " d'un seul coup j'ai tout compris, sans information ", " réponse à toutes mes questions, même celles que je ne posais pas ", " sensation d'avoir la réponse, alors qu'on cherche des réponses à des tas de questions ", " tout est là ".

Ou en se développant comme si tout à coup il n'y avait plus de barrières : " esprit élargi à l'infini ", " ce n'est plus perçu par le filtre de l'intelligence ", " pas de dimension, pas de limite ". D'ailleurs, au retour, il y a comme une réduction de l'intelligence, " une fermeture du diaphragme ".

L'entité a accès à des connaissances qui dépassent tellement celles du témoin ou de l'humain en général qu'il ne semble pas permis de les rapporter sur terre, même si certains le tentent. C'est du moins ainsi qu'ils l'expriment. L'interdit concerne essentiellement les connaissances sur la nature du réel et ses lois : " au retour pas de souvenirs du détail, mais des lignes générales ".

Il n'y a pas vraiment de passage d'information, c'est à la fois comme une osmose ou un voile qui se soulève. Il y a parfois l'intermédiaire d'une entité : " ces êtres de lumière m'ont enseigné ", mais qui souvent ne fait que symboliser la passation : " ce n'était même pas un enseignement direct, mais une fusion ", " parler n'était pas le mot, il m'était transmis une connaissance ", " comme une salle d'enseignement sans maître ", " impression de comprendre et de connaître depuis très longtemps ".

La compréhension de l'autre est un peu du même ordre dans le phénomène d'empathie qui n'est pas réservé au panorama de la vie. Elle prend la forme d'une participation-identification : " impression d'être partout à la fois et de savoir tout ce que pensent les gens ", " je savais tout ce qu'ils pensaient, car j'étais moi et eux en même temps, c'était comme si mon moi s'était agrandi, agrandi ".

Notons, toutefois, le maintien de l'altérité, car le sujet conserve ses émotions personnelles vis-à-vis de la personne à laquelle il participe : " j'étais déçue parce qu'il ne se faisait pas de souci pour moi ".

Enfin, le sujet peut être désorienté par un mode inhabituel d'accès et ne plus savoir par quel canal lui vient l'information : " j'ai entendu leurs pensées : était-ce des paroles ou des pensées ? "

Les connaissances accessibles vont du plus intime au plus universel.

L'aspect omniscience est représenté par un témoin sous l'apparence d'une bibliothèque-tour Eiffel : " si je 1'avais voulu, j'aurais eu droit à. tout ce que je voulais ", " sensation de tout connaître ", " je savais tout ".

Ces connaissances peuvent concerner :

- La nature du réel.

" J'ai été frustrée de ne pas être astrophysicienne, je me souviens de quelque chose lié à l'espace-temps ; l'impression d'avoir manipulé des lois (selon un lama, cela aurait été une initiation au monde des formes) ", " j'ai vu le côté vie, le côté mort ", " je suis la cellule d'un grand tout ", " j'avais l'impression de former un tout, de faire corps avec tout ", " je faisais partie d'un tout ", " un peu comme si on fait partie du cosmos et qu'on est partout à la fois ", " l'être humain est petit, mais il contient tout ", " le tout est dans l'un, l'un dans le tout ".

Aucun de ces témoins, bien entendu, ne connaissait le modèle holographique de la conscience

- Le temps et l'espace.

Les témoins ont tendance à dire : " le temps n'existait pas ", " perte totale de la notion de temps ", " il n'y a plus de notion de temps ", " pas de notion du temps, cela n'avait plus d'importance ", " plus de conscience du temps ". Subsistent cependant des notions de vitesse ou d'accélération que les témoins ne mentionnent pas comme contradictoires.

Cette expérience se traduit souvent en conclusions sur la nature du temps : " le passé, le présent et le futur ne font qu'un ", " je vivais l'éternel présent ", " le temps n'existe pas, maintenant c'est une réelle connaissance pour moi ", " le temps n'a aucune importance ", " c'est l'omni-temps, l'omni-présent ".

Les contradictions des témoins entre l'absence de la notion de temps et la sensation de vitesse proviennent peut-être de la confusion des souvenirs au retour, car il existe dans l'expérience, à la fois des chronologies, et des perceptions globales. Les impressions pourraient, dans la mémoire, se superposer. La sensation de vitesse, d'ailleurs, n'est pas nécessairement liée à l'espace parcouru ; elle pourrait l'être à l'accélération des processus mentaux ou à un autre repère.

- Les réalités religieuses.

" J'ai eu la certitude de l'état christique, pas l'homme, pas la religion ", " on m'instruisait sur la nature de Dieu ", " je comprenais les symboles, les mythes s'incarnaient ", " cette espèce de mysticisme paraissait ne plus m'appartenir ".

- Le futur.

" J'ai vu à ce moment-là que j'allais changer, et que je vivrais avec cet homme, avec qui je vis maintenant ", " je savais à quel intervalle de temps ils mourraient ". Les visions sur le futur de l'humanité étant extrêmement rares, je préfère ne pas les exposer. Elles sont très délicates à interpréter.

- Les proches du témoin.

" On me montrait combien mes beaux-parents avaient souffert du décès de leur fils ", " j'ai vu mes enfants adolescents, habillés avec des jeans qui n'existaient pas à cette époque ".

- L'intimité du témoin.

Elle permet des prises de conscience instantanées, comme si un masque tombait soudainement : " j'ai mieux vu mon fonctionnement ", " lucidité nouvelle, de vieux habits tombaient ", " débarrassée des fausses vérités ", " cette brûlure avait à voir avec l'état solaire que j'avais envie de développer en moi ", " on peut tout savoir sans rien comprendre, ne rien savoir et tout comprendre comme l'amour ".

Notre intelligence " terrestre " apparaît donc terriblement enclavée dans un cadre qui restreint son exercice et son champ. L'hypothèse d'Henri Bergson, qu'ignorent la plupart des témoins, trouve ici matière à s'illustrer : si effectivement notre cerveau filtre et ne produit pas la pensée (mais il la permet), sa mise en veilleuse physiologique peut expliquer la levée de certaines barrières et le déploiement de nos processus cognitifs. Il apparaît bien aussi que cet état d'expansion est difficilement compatible avec les objectifs de la machine humaine neurophysiologique. Les expérienceurs l'expriment à leur manière en ne désirant pas quitter cet état, et il faut une instance « supérieure » (plus « informée » ?) pour en décider autrement. L'interdit de mémorisation peut être interprété en ce sens comme remplissant une fonction de protection vis-à-vis du règne humain.
 
 

Le passage

Le schéma classique du tunnel représente 42 % de l'échantillon ; en regroupant ce qui s'en approche au niveau forme, à savoir : tunnel sombre, tunnel lumineux, canal de lumière, ruisseau étroit, puits.

On trouve aussi le thème de la spirale : corne d'abondance, cercles concentriques, forme hélicoïdale, tourbillon, ou la simple obscurité :

" un abîme de silence, des ténèbres noires comme de l'encre, le néant, l'abîme, le vide absolu, mais un vide plein ".

En termes de direction du mouvement, sur 14 cas l'ayant senti il y a 50 % d'ascension et 36 % de chute. Trois cas ont vécu l'un et l'autre mouvement ; pour deux d'entre eux la chute précédait l'ascension.

La sensation de passage ne se produit pas nécessairement au départ, elle peut n'exister qu'au retour, aux deux ou pas du tout. Il arrive que le sujet fasse exactement le même trajet au retour qu'à l'aller ; dans ce cas le retour se fait par aspiration arrière : ce qui signifie que le sujet ne se retourne pas pour revenir.

Ses formes sont très variables :

" J'ai glissé sur un coussin d'eau, comme sur un ruisseau étroit avec une impression d'obscurité autour, la même impression que dans les nuits africaines : une obscurité très profonde mais en même temps une lumière ", " un tunnel infini au milieu d'une luminosité blanche, inhumaine, de chaque côté ", " au départ, montée en ascenseur ", " descente à la verticale, dans un puits immense, un trou noir ", " un tunnel en béton, très long ", " j'ai été tirée par l'arrière comme si je tombais à toute vitesse dans un trou noir ", " comme un tuyau ".

Quand l'expérienceur cherche à toucher les parois, il ne semble pas les atteindre : ou elles ne sont pas matérielles, ou elles n'existent pas. Les sujets mentionnant un matériau ne disent pas l'avoir touché : " des parois immenses légèrement rugueuses ", " des parois non atteignables, non matérielles ".

Apparemment, ce passage est une zone de transition avec le monde de la lumière. C'est souvent un lieu d'accélération ; il y a donc encore une notion d'espace et de temps : " il y a eu alors une accélération ", " à une vitesse inouïe ".

Si certains témoins ne le sentent pas, c'est peut-être parce qu'ils ont eu à ce moment-là une perte de conscience ; à moins qu'il n'y ait pour d'autres un effet d'entraînement. Deux témoins rapportent ainsi : " A ma deuxième NDE, je n'ai pas eu le tunnel, je suis allée directement dans la lumière. "

S'il n'y a pas de tunnel en soi mais une très grande vitesse, le tunnel peut n'être qu'un effet d'optique, comme celui qu'éprouvent les pilotes d'avions supersoniques. Un témoin, à qui je proposais cette hypothèse, l'a prise comme une évidence : " Il n'y a pas de tunnel, il n'y a que l'infini : c'est la vitesse qui donne cette impression. "

La preuve est loin d'être faite. A moins qu'il n'y ait plusieurs tunnels, ou plusieurs passages, comme j'en fais l'hypothèse dans mon autre article : " Du mythe au rite... ". Dans d'autres cas, on a un escalier ; une porte -, une barrière ; un lieu d'attente hors espace et hors temps avec deux passages, l'un allant vers l'au-delà, l'autre vers la vie terrestre ; une voûte immense aux contours visibles, d'une luminescence très spéciale, où le témoin se déplaçait lentement en vol horizontal ; un passage comme un trou noir qui s'ouvre soudainement devant soi...

Rares sont les cas d'angoisse au moment du passage, car au fond luit la lumière qui focalise l'attention des sujets, mais ce passage peut ne pas être agréable, ou être déjà lumineux.
 
 

La lumière

Dans 13 expériences, soit 50 % de l'échantillon, il y a eu un déplacement entre l'état incarné et l'état dans la lumière. Saris vouloir en tirer des conclusions, le fait mérite attention. 69 % des témoins sont entrés dans la lumière. Il est très facile d'identifier ce vécu. C'est probablement celui pour lequel les mêmes mots sont les plus répétés.

Pourtant, deux témoins se sont trouvés dans une lumière qui semblait différente de la lumière-source, mais n'était pas non plus la lumière ordinaire. Bien-être et répercussions de l'expérience ont quand même eut lieu, mais ou sent qu'il ne s'agit pas du même ordre. Il ne s'agissait, en fait, que de décorporations. Cette lumière semble effectivement particulière à l'OBE

La lumière est décrite comme une lumière générale, diffuse, sans origine et sans ombre, souvent blanche dorée, intense mais non aveuglante.

Mais elle est aussi décrite comme orangée, bleu pastel, sous forme de sphères, de bruine.

Des témoins distinguent la lumière à la sortie du tunnel et la lumière " après ", animée : " ensuite ce fut une vibration de couleurs, comme des petits électrons en mouvement incessant dans lesquels je me faufilais, je me fondais, Je devenais la couleur, faisais partie de la vibration ".

Une description ressort particulièrement dans sa précision et sa spécificité : " C'était comme une lumière noire, tout le contraire de notre lumière, tellement infinie que j'en ai été impressionnée , l'infinitude par opposition à l'incomplétude de l'état corporel , notre lumière est la fausse lumière, il y avait là une densité tellement épaisse que c'est la lumière à l'intérieur qui l'animait, j'ai pensé aux ténèbres mystiques ".

La relation avec la lumière est le plus souvent perçue comme un bain ou une fusion. On a l'impression d'un retour dans une matrice originelle liquide et protectrice. C'est une fusion-identification : " comme si j'étais moi-même lumière ". On s'y baigne, on y fond, on y est bercé, on en fait partie, c'est la patrie retrouvée.

Car cette lumière n'est pas seulement une lumière, elle est chaude, chaleureuse, mais plus que cela : " on est tous issus de là, cette source, c'est la lumière, on fait tous partie du même océan de lumière ", " énergie fantastique ", " la régénération ", " la force ", " l'amour ", " la paix ", " la connaissance ", " la lumière du Christ ", " l'Etre Suprême ", " le Soi intérieur ", " l'Esprit ",

Les sentiments associés à son contact sont à la dimension de ces qualités : idyllique, le bonheur, la douceur, le réconfort, la joie, la purification, l'allégresse, un bien-être inoubliable, divin, merveilleux.

Véritable noyau dur de l'expérience, c'est à la lumière que les témoins rapportent leurs transformations ultérieures.
 
 

Rencontres

35 % de nos témoins ont fait des rencontres. Celles-ci sont de plusieurs sortes et semblent remplir des fonctions précises et différentes : rassurer, témoigner, réparer, informer.

Plutôt au départ, dans le tunnel on même ultérieurement, ce sont des présences non personnifiées, encourageantes, accueillantes, rassurantes ou témoins.

Les témoins peuvent symboliser un état de conscience ou une réalité physique : pour un sujet, des entités au loin un peu floues représentaient la limite de l'au-delà : le témoin savait qu'il pouvait s'approcher et les voir distinctement, mais qu'il ne pourrait plus revenir.

Le tunnel peut être peuplé de présences fluidiques, mais à ce stade-là il n'y a pas de reconnaissance d'individus précis.

Dans la lumière, les rencontres sont de plusieurs catégories :

Des inconnus avec lesquels les contacts sont rares : dans un cas, ils passaient simplement et dégageaient amour et sérénité. Dans un autre, ils servaient de fond et n'étaient que des visages.

Des « inconnus-connus » : personnages reconnus par l'expérienceur, mais sans lien avec sa vie terrestre et sans nom. Le sentiment qui vient alors est : " enfin je les retrouve, cela fait si longtemps qu'on ne s'est pas vus ", " je sais qu'ils m'ont suivie à travers mes vies et que mon coeur les a toujours connus ". Ils peuvent prendre la décision du retour.

Des décédés connus (directement ou indirectement) : Un témoin a retrouvé son petit frère, mort à 7 mois, il avait grandi. Cette rencontre, à l'évidence, a rempli une fonction de réparation (de la perte durement subie à sa mort par le témoin), mais elle a été aussi l'occasion d'une transmission d'informations sur la fin d'un membre de la famille. Ce même témoin a rencontré un membre de la famille de son mari, mort à 25 ans, qu'elle n'avait jamais connu, mais vu en photo; à cette occasion, elle fit une prise de conscience utile. Tous deux, précise-t-elle, avaient des traits physiques et rayonnaient de lumière. Plus rare encore, cette femme a vu la petite chienne boxer qu'elle a eue dix ans plus tard (par un concours de circonstances), Sa relation avec tous les trois a été une communion.

Un homme, juste avant son retour, a vu deux membres de sa famille décédés, dont une grand-mère qu'il découvrit par la suite médium ; ce qui n'est pas anodin puisqu'il devint voyant professionnel à la suite de sa NDE.

Nous avons eu connaissance d'un cas curieux par rapport à la généralité : comme pour les autres cas, la rencontre de son père et de sa grand-mère décédés a eu une fonction très fortement réparatrice, puisque leur message était " tout est amour, on n'est jamais séparés ", alors que cette femme traînait une grande tristesse de fond depuis la perte de son père. Mais à leurs côtés se tenaient la mère et le frère du témoin, tous deux bien vivants (et qui le sont encore). Or, nous savons que la rencontre de vivants se produit fréquemment chez les enfants, mais en principe jamais chez les adultes (du moins dans la lumière).

De façon générale, les témoins ne rencontrent pas n'importe quel décédé : un lien d'amour précoce ou d'identification les unit.

Dernière catégorie : des entités actives, guides spirituels... Ils sont là pour aider aux prises de conscience et décisions : " tu n'as pas encore entamé ta mission ", " tu dois repartir " pour instruire ou pour soulager ; " à ma deuxième NDE, juste après la mort de ma grand-mère, les entités m'ont apporté un soutien physique et moral ".

Comme dans les NDE anciennes, elles peuvent être habillées de longues robes blanches de lumière et exprimer l'élévation spirituelle.

On peut se demander qui sont ces entités, si elles ne sont pas une représentation du sujet. Certains témoins semblent l'indiquer : " j'étais entourée de gens qui me portaient, me donnaient de la chaleur et de l'amour, on est soi et, en même temps, on fait partie de la foule ", " j'ai vu au loin une femme transparente en foetus, était-ce moi-même ou le bébé que je venais de perdre ? Elle était mon repère ", " je voyais les entités toujours présentes comme à travers une lentille, c'est-à-dire dans une opacité et une lumière, je pouvais les rendre plus concrètes, en matérialisant mon état de conscience ", " je sentais que cet être-là, c'était moi, moi arrivée à une plus grande expression, une plénitude de moi, comme un petit enfant qui serait arrivé au bout du chemin ".

D'autres témoins pourtant ressentent vraiment comme " autres " les entités avec qui ils ont été en communication. Sauf en ce qui concerne les parents décédés, ces entités sont la plupart du temps investies d'une grande spiritualité, d'une grande autorité, d'une grande supériorité. Elles offrent les attributs de la divinité. Si l'on veut en rester à une notion de personnification, il sera difficile de mettre en cause un quelconque sous-état du moi. Le Soi jungien, en tant qu'archétype structurant tout l'être psychologique et exprimant la totalité du moi, semble beaucoup plus adéquat. Il pourrait être intéressant, en ce sens, de rapprocher les manifestations rencontrées de la relation de l'expérienceur à son monde intérieur.
 
 

Panorama de la vie et décision de retour

23 % des témoins ont revu des scènes de leur passé, mais certains eurent des aperçus sur la vie future et sur des vies antérieures. Pour ces dernières, il ne s'agissait pas de personnages fabuleux ou valorisants. En revanche, elles ont servi à un témoin pour prendre la décision de retour. Les éléments de vie future ont été en partie vérifiés, sans que l'on puisse parler de programmation de la prédiction,

C'est à cette occasion que le témoin prend conscience de la raison des choses et de la responsabilité de ses actes, même les plus minimes, sans qu'il y ait de sentiment de forte culpabilité.

Il y a eu, dans 50 % des cas, décision de retour prise par le témoin ou imposée. Dans 38 % des cas, le retour est fait pour assurer une fonction parentale.

Il est, cependant, difficile de déterminer si le retour est dû à l'instance physiologique ou psychologique. Une raison de retour pourrait n'être que la traduction psychologique d'un processus physique en cours de redressement, tout comme une volonté de revenir pourrait suffire à commander le succès d'une réanimation.

Un anesthésiste-réanimateur a ainsi pu déclarer : " nous accomplissons des gestes techniques, mais au fond, je n'ai pas le sentiment que nous soyons maîtres de quoi que ce soit ; c'est ailleurs que cela se passe ".
 
 

Entrée dans une autre dimension

La question qui nous préoccupait était de savoir en quoi l'expérience se différenciait d'un rêve. Puisque tous les témoins s'accordent pour considérer que leur expérience n'est pas un rêve et qu'elle est plus réelle que la réalité ordinaire. L'expérience n'est pas un rêve, disent-ils, parce qu'elle a une réalité plus puissante, plus vraie, plus profonde, non humaine, non terrestre, indélébile. Alors qu'un rêve s'oublie et a peu de conséquences, elle vous poursuit dans la vie et vous transforme. En fait c'est, pour eux, une évidence.

Mais en quoi est-on dans une autre dimension que la réalité ordinaire ?

C'est d'une part en raison :

- de perceptions différentes : couleurs inconnues, musiques célestes, paysages mobiles ;

- de leur beauté ;

- de leur caractère exceptionnel : amour, énergie, harmonie, joie, calme, angélique, magnifique, universel, impersonnel, le monde de Dieu, le nirvana, le paradis.

En résumé, tout est " plus ", " paroxysmique ", " multiplié par 10 ", " plus subtil ", " plus pur ", mais plus encore, il n'y a plus de peur, plus d'angoisse, plus de problèmes, plus de lutte, plus de passions. C'est un vrai leitmotiv. Un témoin, tout en y croyant très fort, a même caricaturé cet état par la formule un peu triviale : " tout le monde il est beau, tout le monde il est joli, tout le monde il est gentil ".

Si l'on interroge les témoins sur l'ordre de réalité, les réponses sont loin d'être naïves, et ne tirent pas vers le merveilleux : " une conscience élargie " ; " un autre monde de perceptions " ; " une sortie des trois dimensions connues " ; " un monde de sensations plus intenses " ; " au coeur de moi-même " ; " au centre de moi-même " ; " mon essence " ; " le monde de l'âme ".

Si l'on rapproche les qualifications de la lumière de celles attribuées à cette autre dimension, nous retrouvons la quiétude et l'indifférenciation : pas d'altérité, donc pas de crainte. Le réflexe serait de recourir à l'explication par l'état fusionnel de la gestation maternelle. Il est vrai qu'on a le sentiment de se trouver devant des états hautement régressifs.

Mais est-il possible de limiter l'expérience à une simple régression, alors que veille la conscience-témoin ?

En termes de développement personnel, l'analyse à mener serait celle du rapport régression-progression. En d' autres termes, s'agit-il d'une expérience d'a-dualité, c'est-à-dire de retour à l'indifférenciation foetale (involutive), ou d'une expérience de non-dualité, c'est-à-dire de retour à l'originaire illuminé par la conscience (évolutive) ?
 
 

Répercussions

Il n'est pas d'un grand intérêt de développer longuement les répercussions, qui font, dans la littérature spécialisée, l'objet d'un véritable mythe. Évoquer la perte de l'angoisse devant la mort, la certitude d'une survie, l'augmentation de la religiosité et les changements de personnalité est certes fascinant, mais provoque aussi des réactions de rejet, et l'on aboutit dans l'un et l'autre cas à un refus d'étude sérieuse. Ce qui est sans nuances n'a souvent d'autre motif qu'idéologique.

Phillis Atwater 15, dans son étude des répercussions sur 200 Américains, a estimé que 25 % n'en sortaient pas transformés ; 65 % l'étaient de façon importante et 10% de façon radicale.
 
 

La mort, la survie, la spiritualité

Ces trois termes sont fortement et logiquement corrélés. De la conception de la mort découle celle de la survie, et de celle de la survie dépend pour partie la religion. Les pourcentages sont d'ailleurs très proches : 96 % des témoins n'ont pas peur de la mort, 92 % croient en une survie, et 92 % ont une religiosité transformée.
 
 

La mort et la survie

Une première précision est nécessaire : si la mort ne fait pas ou plus peur, les conditions dans lesquelles elle se passera comptent beaucoup : la peur de la souffrance demeure.

A la question : " Qu'est-ce que la mort signifie pour vous ? " les réponses convergent. Apprivoisement, négation et sublimation. On débouche logiquement sur la certitude de la survie, qui n'est que rarement la conservation du corps ou de l'identité.

" On peut devant elle être paisible et serein ", " je l'attends avec patience ", " je suis plus calme, car c'est maintenant le connu ", " il faut s'y préparer comme on prépare un voyage vers des contrées lointaines ".

" Je ne peux plus avoir peur de la mort ", " la mort n'existe pas ", " elle n'a plus le même sens ", " il n'y a pas un avant et un après, il y a la vie ", " la mort est un passage, c'est une fin, pas la fin ", " la suppression d'un provisoire ", " je sais que je vivrai toujours ", " mourir c'est retourner chez soi ; venir sur terre c'est se déchirer ", " c'est le passage d'un état à un autre ", " la mort, c'est la vie ", " c'est une autre vie dans une autre dimension ", " mourir c'est accéder à une autre vie, plus libre, plus vaste ", " c'est une nouvelle naissance ", " un autre plan de conscience ", " une initiation ", " un réveil ", " je croyais que c'était la pourriture et la fin, maintenant c'est pour moi la régénération, la résurrection ", " c'est le commencement d'une autre vie incorporelle ", " une énergie qui retourne à la source-mère, qui est retraitée et réutilisée comme dans une usine de récupération des déchets ", " la plus belle des métamorphoses ", " une plongée dans la lumière ", " c'est une autre forme de vie, pas du tout la même, il n'y a pas de continuité ".

" Et moi je suis sûre qu'on va au ciel, mais on va au palier de ses affinités ", " j'ai la certitude de la vie éternelle ", " la mort pour moi avant était inévitable et sans rien après, la dimension transcendante est devenue une évidence ".

Pourtant la conscience d'une impossibilité à la devancer traverse tous les témoignages (mais il s'agit de personnes qui sont revenues " je n'ai pas peur, mais on ne peut pas l'avancer, ce serait comme perdre une amie, sauter une classe, ce serait un échec ", " avant je la désirais, j'ai compris maintenant la nécessité d'une conscientisation dans la matière, la mort est devenue quelque chose de très grave, elle m'impressionne, serai-je jamais prête ? "

Il est évident que ces convictions tiennent à la teneur de l'expérience. Il est rationnel que se croire mort et se sentir en vie fassent faire des rapprochements et extrapoler à la mort réelle, puis à la survie, C'est apparemment l'OBE qui produit cet effet de foi.

Les deux cas de non-croyance à la survie sont à cet égard instructifs. L'absence de décorporation se double pour l'une d'une absence d'expérience transcendante, et pour l'autre d'une négation après coup de son état de mort. Pour la seconde, la peur de la mort subsiste contrairement à son insight interne à l'expérience ; pour la première, c'est sa syncope qui est associée au bien-être, pas la mort,

Le vécu extatique de la mort est une autre raison de la conversion.

Un sujet ne sait plus à quoi s'en tenir à cause de son expérience négative qui vient contredire le positif de son OBE.

Les rationalistes considèrent souvent que la croyance en une survie n'est qu'une béquille cachant une peur de la mort.

On observe, avec la NDE, une corrélation contraire : confrontation et acceptation de la mort, disparition de la peur de la mort, croyance en la survie. En revanche, ce qui apparaît bien est la relation entre l'interprétation de son expérience et la croyance.

En fait, les choses sont beaucoup moins simplistes : " avant, pour moi, la mort était le néant, donc simple et confortable ; cela a tout compliqué ", " il existe quelque chose après la mort, c'est perturbant ".
 
 

La spiritualité

Il est délicat de démêler conditionnement culturel et répercussions réelles dans ce domaine, tant nous sommes tous plongés depuis des siècles, athées ou non, dans un bain de chrétienté (en Occident, bien entendu). Pourtant, les témoins semblent garder une certaine objectivité, comme si l'expérience leur avait donné une distance.

Spiritualité est un meilleur terme que religion car ce dernier rappelle trop les institutions. On prend souvent ses distances vis-à-vis des religions et du dogme : " il faut être au-dessus de la religion, la religion n'est pas Dieu, c'est l'image que les hommes en ont ", " la religion n'est qu'un moyen de réaliser Dieu ".

Tout à coup le sujet n'a plus besoin d'intermédiaire : " je ne pratique pas la religion, je pratique la religion de charité, je ne vais pas à l'église, par contre je vais voir les gens ", " la religion n'a pas de frontières ", " avant je croyais à un paradis et un enfer, maintenant je sais que ce sont des états intérieurs ", " j'ai besoin de comprendre ma religion de l'intérieur ", " je vivais ma religion superficiellement ".

Pour la majorité des témoins, il s'agit donc d'une orientation vers la dimension transreligieuse.

Mis à part les deux sujets que nous avons évoqués plus haut, les absences de transformation de religiosité concernent des sujets déjà très pieux dont l'expérience n'a fait que confirmer une foi bien ancrée.

La différence entre croyance et foi se fait clairement : " avant je croyais, maintenant je sais ", " c'est une conviction interne que rien ne peut ébranler ".

Quand il y a incompatibilité entre dogme et croyance nouvelle, c'est souvent la connaissance expériencielle qui emporte la partie. Ce qui n'empêche pas le recours au « bricolage » pour maintenir une certaine compatibilité. L'exemple le plus courant est celui de la résurrection et de la réincarnation. Un expérienceur qui a été éduqué dans le dogme chrétien de la résurrection et reçoit, dans sa NDE, un « enseignement » sur la réincarnation, invoquera le tournant du concile de Constantinople, en 543, qui condamna la réincarnation, et soutiendra l'antériorité de cette croyance pour la chrétienté.

Rares sont enfin les témoins parlant d'un Dieu suprême personnifié : " cela n'a rien à. voir avec le Barbu qui a sacrifié son fils, ceci est du folklore, nécessaire pour certains ".

Il est en fait question d'une transcendance indéfinie, souvent exprimée sous forme d'énergie : " il y a quelque chose au-dessus de nous ", " quelque chose d'indéfinissable ", " des forces énergétiques qui dépassent l'entendement humain ", " je suis persuadée qu'il existe une force cosmique unique ".
 
 

Changements généraux

Les études statistiques ne peuvent rendre compte de la dimension qualitative d'un entretien. Toutes sortes de messages cohérents ou contradictoires viennent renforcer ou disqualifier les réponses. Toute étude statistique devrait donc s'enrichir de données qualitatives fournies par l'enquêteur, ce qui exclut, pour cette appréhension, toute étude faite sur la base de témoignages recueillis par voie postale.

Une réserve devrait être faite vis-à-vis de l'auto-évaluation par les témoins de leurs changements. Le biais est incontournable. Vérifier auprès des proches se révèle quasi impossible. La pondération ne peut donc se faire qu'à partir de la cohérence interne du discours, de la sagacité des enquêteurs ou de la fréquentation des témoins eux-mêmes.

On assiste souvent à une surévaluation des répercussions. On peut se demander si elle vient réellement des témoins ou des désirs des chercheurs et auditeurs. Il y a en effet de quoi rêver.

Il est vrai que l'expérienceur, bien plus qu'un retour à la vie, se sent re-né : " c'est une initiation, une renaissance ", " mon enfance s'est cassée à 42 ans ", " je suis une autre personne ", " c'est une remise en question totale ", "je vis une deuxième vie ".

Les changements positifs sont connus.

Changement dans l'échelle dès valeurs : amour, connaissance, compréhension, service devancent les valeurs matérielles.

Développement de la sensibilité ou de certaines capacités et apparition de dons psi : sensibilité, concentration, relaxation, mémoire, détachement, médiumnité, prémonition (localisation physique dans le plexus solaire), magnétisme, décorporation, télépathie, synchronicités, clairaudience, inspiration, rêves particuliers, contacts avec l'invisible.

Modifications physiologiques : certains mentionnent des modifications qui continuent, ou pour l'un d'entre eux des taux de coagulation et de cicatrisation plus rapides.

Kenneth Ring 16 a vérifié de façon significative le syndrome de sensibilité à l'électricité : plus d'allergies, plus de capacités paranormales, dons de guérison, sensibilité à la lumière, acuité auditive, humeur changeante. Kenneth Ring préconise par conséquent des recherches sur le champ électromagnétique de l'homme.

Acceptation et respect de la vie : regain d'énergie et de courage, recherche d'incarnation, émerveillement devant la. moindre manifestation de vie, conscience écologique, végétarisme.

Quête intérieure et recherches : religion, après-vie, nature du réel, psychologie, c'est le début d'un questionnement sans fin sur soi et sur le monde.

Remises en question sévères : au niveau de l'amour qui ne peut plus être sentimental mais exigeant, au niveau des amis, du conjoint, de la profession.

Sens de la vie : il ne s'agit pas seulement d'un sens particulier, mais d'une philosophie qui peut prendre la forme d'un message à transmettre dont les grandes lignes sont :

- positivité, tout est utile, il faut construire ;

- accomplissement pour soi et pour les autres, la vie est une école pour évoluer, les épreuves sont salutaires ;

- responsabilité personnelle ou encore loi des causes et des effets.

La NDE est un cadeau : " je suis privilégiée comme ceux qui sont vaccinés ". Il faut témoigner que la mort n'existe pas et que l'amour et la lumière sont les seules valeurs vraies, tout ce qui vit reflète le divin, il faut le respecter, y compris le corps.

Les effets négatifs le sont moins.

Ce sont, d'une part, des difficultés d'adaptation au retour.

Problèmes d'accommodation des sens : " je voyais les objets très en relief venant au-devant de moi ", " j'étais devenue extrêmement sensible aux sons, c'était insupportable ", " les arbres étaient décalés ".

Refus de revenir : " je me suis sentie longtemps entre deux mondes ". Ce refus peut devenir complètement pathologique si le témoin finit par être insatisfait de toute action « terrestre », parce que tout ne peut être qu'en deçà de la perfection entrevue. Il peut alors ne plus rien vouloir faire et s'enfermer dans un douloureux repli.

Sentiment d'être étranger, incompris des autres et de ses proches : " ma façon de vivre leur paraît inexplicable ", " pour la famille maintenant je suis le diable ".

Phillis Atwater y ajoute des problèmes dans la relation au temps, une perte de ses limites et des règles sociales, une difficulté à personnaliser l'amour.

D'autre part, des effets pervers, vraisemblablement par défaut d'intégration.

Rares sont les témoins qui en ressentent le besoin, mais l'intégration d'une telle expérience ne se fait pas toute seule. La société et son modèle matérialiste dominant ou religieux quelque peu sclérosé n'en fournissent pas les outils appropriés, Dans ce contexte, de 10 à 20 ans sont sans doute nécessaires, sans garantie du résultat. Ceux qui s'en tirent le mieux sont peut-être ceux qui recourent à des structures existantes explicatives, comme certains cercles ésotériques. A condition qu'ils ne soient pas trop dogmatiques.

La grande similitude des discours, des convictions, et la recherche d'honnêteté dans l'évaluation des transformations sont flagrantes. Mais pouvons-nous en rester au discours explicite ? Cela simplifierait le phénomène et les relations chercheurs-témoins-demande d'un certain public, mais ne serait aucunement satisfaisant.

Quiconque a approché un grand nombre de témoins ne peut qu'être frappé par la relative fréquence de la douleur d'être, la part non négligeable d'insertions bancales au monde, voire des assertions compensatrices concernant des capacités supérieures ou l'élection dont ils ont bénéficié.

Des contradictions patentes nous ont rapidement fait atterrir : coexistantes à des proclamations d'amour, de tolérance et de jugement éclairé, nous avons pu assister à des attitudes malveillantes, des accusations mensongères non vérifiées, des craintes de spoliation, des menaces, de la méfiance, des attentes passives et revendicatrices. Ces cas-là sont heureusement rares, mais ils sont frappants et illustratifs de la condition humaine tiraillée entre des intentions sincères et l'épreuve des faits.

Nous ne connaîtrons jamais l'avant de l'expérience, les progrès sont peut-être énormes en terme d'éveil de conscience. N'est-ce pas là, après tout, le premier pas ? Rien ne nous empêche de rêver à une humanité entière partageant cette vision du monde. Sagesse et solidarité y auraient sûrement une meilleure place !

Ces nécessaires restrictions devraient éviter de faire de l'expérienceur soit un délirant, soit un demi-dieu, soit un être devenu soudainement spirituel, soit un mutant modèle du futur homme. Pseudoscientificité et pseudo-spiritualité ne sont qu'illusion se renvoyant l'une l'autre dos à dos.

Il est donc très important d'examiner l'impact de l'expérience, mais il faut d'abord se reporter à l'histoire du sujet, c'est-à-dire s'interroger sur le contexte dans lequel se produit l'expérience.
 
 

Antécédents

D'autres chercheurs américains (Kenneth Ring et Bruce Greyson en particulier) ont pensé à chercher dans cette direction, mais s'il existe une cohérence entre leurs conclusions et les miennes, l'analyse que je vous propose constitue, dans sa forme, une nouveauté.

Qu'est-ce qui fait que telle personne a une NDE ou s'en souvient et pas telle autre ? C'est en interrogeant les témoins sur leur enfance et leur adolescence que nous avons récolté les antécédents suivants. Ils sont classés en 6 catégories.

Le report ait tableau annexé est indispensable pour mesurer leur importance. 96 % des témoins ont l'un ou l'autre de ces antécédents, certains les ont tous à la fois.

- Dons psi chez le témoin enfant ou dans la famille proche. Souvent le témoin ne le découvre qu'après son expérience, car le proche ou l'ancêtre n'est pas toujours reconnu par ses proches.

L'enfant a souvent réprimé ses dons, lorsqu'il a découvert que tout le inonde n'était pas comme lui. L'expérience est l'occasion de leur réveil et de leur développement.

Des antécédents psychiatriques chez un proche peuvent équivaloir aux dons psi, dont ils sont peut-être le versant pathologique (à moins qu'il n'y ait eu erreur de diagnostic, ce qu'on ne peut exclure).

- Séparation brutale ou perte du père, de la mère, d'une figure parentale, ou d'un objet d'amour très important.

- Contexte menaçant pour la vie du témoin : bombardements, violences physiques contre le témoin par ses proches ou contre ses parents en sa présence.

- Déracinement soudain.

- Interrogation précoce sur la mort, la religion...

- Perte ultérieure d'un enfant : dans une première analyse, j'avais proposé cet antécédent, à titre de provocation, pour pointer de possibles renversements temporels. Poursuivant mon intuition, j'ai demandé à un témoin ayant perdu son enfant de longues années après sa NDE, si elle aurait supporté ce deuil sans sa NDE. Sa réponse fut négative. Son expérience l'avait donc préparée bien à l'avance. Depuis, spontanément, un autre témoin a analysé, dans ce sens, une des fonctions de sa NDE. Sur l'échantillon, nous avons 3 à 4 deuils d'enfants post-NDE.

Sans échantillon de contrôle pour comparer les antécédents d'une population « normale », cette analyse peut être invalidée. Il reste évident que nous n'avons trouvé que ce que nous avons cherché. Enfin, les témoins sont assez réticents sur cette partie du questionnaire.

Toutefois, une étude de Kenneth Ring et Christopher J. Rosing 16, par des voies différentes et indépendantes, vient la confirmer. Leur étude porte sur 74 expérienceurs et 54 non-expérienceurs 17 pour le groupe-contrôle. Elle établit la place significative des traumatismes de la petite enfance chez les expérienceurs. Leur étude avait pour objet la recherche de facteurs prédisposant à avoir une NDE. A la même époque, sans le savoir, les chercheurs français posaient des hypothèses similaires.

Les chercheurs de l'IANDS sont très partagés sur la signification de ces facteurs. Or, ceux-ci semblent dévoiler une sorte de circulation familiale d'énergie liée à la mort qui, pour ma part, semble être du plus grand intérêt.

Se focaliser sur les antécédents traumatiques ne signifie aucunement :

- que toutes les personnes ayant ces antécédents auront une NDE ;

- que les personnes n'en ayant pas n'auront pas de NDE.

Il faut les considérer comme un terrain prédisposant, ce qui signifie à la fois :

- qu'un terrain peut octroyer, pour employer une métaphore informatique, un code d'accès, étant entendu que cette réponse n'est pas la seule possible,

- qu'un tel terrain peut simplement provoquer la capacité on le besoin de mémoriser, dans la même mesure que certaines personnes se souviennent de leurs rêves ou pas, à certains moments ou pas, selon leur contenu. Cette mémorisation peut aller jusqu'au besoin ou pas de verbaliser, sachant que cette énonciation permet l'intégration et augmente probablement le pouvoir curatif de l'expérience.

N'oublions pas que d'autres voies peuvent mener à expériencer ou à se remémorer une NDE : une sensibilité ou une perméabilité particulière aux états modifiés de conscience ou à l'invisible. Nous avons par exemple un témoin dont le père, à l'instar des Senoï, faisait part des rêves à ses enfants tous les matins. On connaît l'usage de leur rêves par cette peuplade et les rapports entre les rêves lucides et la décorporation.

Ces facteurs ne sont pas indépendants : ils ont tous un rapport direct ou indirect avec la mort. On connaît en psychiatrie comme en parapsychologie le lien entre les phénomènes paranormaux et les forts traumatismes qui atteignent l'individu dans sa propre intégrité (ou celle d'un parent car il est alors en danger psychique équivalent). Il y a bien évidemment redoublement du choc quand le protecteur devient l'agresseur, comme dans les violences parentales à l'égard de leurs enfants.

Certains phénomènes paranormaux pourraient provenir, comme l'explique Djohar Si Ahmed 18, d'une mobilisation de l'énergie psychique liée à des modifications brutales de l'homéostasie narcissique. L'homéostasie narcissique est le processus par lequel est maintenu l'équilibre énergétique dont dépend le bien-être psychique et physique du sujet. Cet équilibre est naturellement lié aux expériences de plaisir et de frustration. Dans le cas de perte majeure (de rupture d'investissement affectif), l'équilibre est brutalement rompu et le sujet se trouve en état d'hémorragie.

On sait également que la dissociation est un mécanisme de défense observé dans les mêmes circonstances. Or la dissociation n'est pas forcément pathologique. L'hypothèse est que, dans ce cas, elle peut ouvrir la perception à l'invisible. La déconnexion qui permet au sujet de se protéger pourrait continuer à jouer sans situation de stress et brancher le sujet sur les réalités alternatives.

Comme si un mécanisme, ne devant jouer qu'en cas extrême ou au moment de la mort, était appris. C'est en tout cas l'impression que donnent les témoins avec leurs capacités à se décorporer ou à entrevoir d'autres dimensions d'espace-temps ou psychiques. Tout se passe comme si une clef se trouvait positionnée en face d'une serrure normalement inaccessible. Il suffit alors d'un tout petit mouvement, que le témoin peut arriver à sentir, pour que la clef s'engage dans le trou. L'enclenchement n'est pas garanti : certains ont essayé avec demi-succès ou sans succès, alors que quelquefois, sans qu'ils le cherchent, le mécanisme jolie.

Une problématique avec la mort peut subsumer tous les facteurs répertoriés, la NDE intervenant comme guérisseuse soit prospectivement (deuil ultérieur), soit rétrospectivement (deuil passé), Cette problématique se révèle :

- soit directement, par les événements de la vie du témoin ou de ses proches : séparations et exodes brutaux, menaces et chocs, pertes de parents ou d'amis de coeur ;

- soit indirectement, à travers les effets connus de cette problématique, qu'ils touchent le témoin ou sa proche famille : épisodes psychiatriques, dons psi, grande piété.

Certains seront peut-être surpris de la prise en compte du rapport à la mort, par voie directe on indirecte et inter - ou transgénérationnelle. Ce sont, en fait, des phénomènes maintenant théorisés en psychologie. Dans le contexte que nous étudions, il s'agirait de la transmission d'un deuil non fait, ou de ses symptômes (dons psi) entre membres d'une famille, jusqu'au moment où l'un de ces membres pourra dénouer le noeud, en exprimant et intégrant cette problématique.

Les concepts de Fantôme et d'Ange ont été élaborés pour rendre compte de ce processus.

Pour Nicolas Abraham, " un Fantôme est un objet de l'inconscient transmissible d'inconscient à inconscient dans les relations de filiation ". Et Didier Dumas complète : " L'Ange est un concept indissociable de celui de Fantôme. Il conceptualise tous les phénomènes bizarres, voire télépathiques, qui permettent de trouver les mots manquants avec lesquels on dissout un Fantôme. L'Ange est ainsi le représentant d'un message réceptionné par d'autres voies que celles de la parole 19. "

Un de nos témoins, Mme B., illustre la possibilité de rupture dans un scénario transgénérationnel, par similarité de vécu et expression résolutive. Mme B. frôla la mort à 26 ans, à la suite d'une rupture des trompes, et dans sa NDE, elle rencontra son père, décédé à 26 ans, Elle lui dit alors : " Tu vois je suis morte comme toi à 26 ans " ; mais son père lui répondit qu'il n'en était rien, qu'elle allait repartir sur terre et réenfanter. Ce qui arriva. En somme, le père a joué le rôle de l'Ange.

Si l'on revient aux configurations des familles des témoins, on observe une sorte de capitalisation de deuils, séparations... et symptômes liés. La NDE n'arrive donc pas n'importe où. Elle semble opérer une réparation narcissique dans des milieux où se sont probablement produites de grosses hémorragies narcissiques.

L'expérienceur, à travers sa NDE, tenterait de se guérir (et du même coup sa famille) de cette hémorragie narcissique. Mais il ne pourra y parvenir que s'il peut parler de sa. NDE et l'intégrer. Sinon, il a toute chance de continuer à porter et transmettre le Fantôme.

Comme dans les thérapies familiales reste en suspens la question du membre porteur du symptôme : pourquoi lui ? Et comment ?
 
 

Discussion de quelques cas en guise de conclusion

Quatre sujets, présentant quelques aspects atypiques, peuvent nous aider à mieux comprendre ce qui se passe et comment se lient antécédents, répercussions, rationalisations.

Pour qu'une NDE produise ses effets positifs, il apparaît effectivement :

- d'une part, que la reconnaissance et l'interprétation par le sujet de son expérience sont déterminantes

- d'autre part, que certains événements (qui font sens avec la NDE) remplissent une fonction de rappel et d'intégration ;

- enfin, qu'il n'y a pas indépendance de l'avant et de l'après, que ce soit au niveau des croyances ou des événements qui ont structuré l'expérienceur.

Les deux premiers sujets ont déjà été signalés plus haut, à propos de l'ambiguïté de la notion de mort.

Persuadée d'être morte dans sa NDE, Mine M. renie ensuite sa conviction par rationalisation. Les répercussions en termes de croyance sont à l'opposé des habituels schémas : peur de la mort, pas de changements, pas de croyance en la survie, religiosité non modifiée.

Au contraire, Mme C. n'a pas été en proximité de la mort et n'a pas eu de NDE caractérisée : pendant un évanouissement de quinze minutes, elle s'est retrouvée dans un espace différent, assistant à une scène dans laquelle évoluaient des personnages de l'époque de Louis XV. Mme C. observe cependant chez elle des répercussions identiques à celles des expérienceurs. Mais si l'on considère son mode d'être au cours de son enfance, on s'aperçoit que le sentiment d'étrangeté et d'altérité était déjà présent et préparait la rencontre et l'acceptation du Tout Autre : elle cite notamment son regard de toute petite fille dans un miroir, se sentant une vieille âme et trouvant grotesque cette image d'enfant. Elle était persuadée que ses parents n'étaient pas les siens, ce que l'on peut rapprocher du roman familial, mais, dans la réalité, sa mère, éthéromane, avait à plusieurs reprises tenté de la tuer.

Si l'on compare leurs expériences respectives, l'amplitude de l'expérience n'explique pas les répercussions : Mme M. a vécu la lumière et ne s'en est pas trouvée transformée, mais, avoue-t-elle, " je n'ai pas assimilé l'expérience ". Mme C. a vécu ce qui semble être une incursion dans une autre dimension, en a été changée, mais pas immédiatement.

Une longue période de dépression a, en effet, précédé sa transformation. Ici encore, on voit apparaître le rôle de la rationalisation. Son expérience l'ayant convaincue que la mort n'existait pas, Mme C. ne disposait plus du suicide, ultime recours qu'elle s'était donné en cas de vieillesse misérable. La mort était alors pour elle silence, néant et paix. Elle décida par conséquent de « faire de l'argent » pour préparer ses vieux jours, mais perdit tout. Cette sorte de deuxième mort joua comme un rappel, puisqu'elle intégra alors son expérience, son message et sa mission : faire savoir que la mort n'existait pas,

Un troisième sujet montre la complexité du déclenchement des effets.

Mme F. a eu deux NDE et un coma de quatre jours à la suite d'une tentative de suicide. Sa première NDE, à l'âge de 6 ans, a laissé peu de traces, mais sa deuxième NDE, à 26 ans, avec décorporation et lumière, lui a donné une soif de connaissance et fait entreprendre les recherches. Confrontée à de très graves problèmes, elle fit une tentative de suicide, vingt-deux ans plus tard. Il n'y avait pas, chez elle, désir de retrouver l'expérience, car à la date de son suicide, en 1978, elle n'avait pas entendu parler des NDE, et n'avait fait aucun rapprochement (malgré sa première expérience). Son coma ne lui a laissé aucun souvenir, mais un déclic s'est produit : le courage d'affronter la vie lui est revenu avec celui de reprendre les recherches entreprises vingt-deux ans plus tôt. Nous savons que les comateux ramènent rarement des NDE mais, si le souvenir est manquant, la NDE a pu avoir lieu et produire ses effets. Donc, quelques transformations non radicales après une deuxième NDE, mais celle-ci n'avait pas été reconnue comme telle. C'est finalement un choc similaire (sans mémoire d'expérience), vingt-deux ans plus tard, qui déclenche réellement les effets. Ces derniers ont été probablement renforcés par la découverte de Moody peu après.

Notre dernier cas comporte lui aussi un effet retard intéressant et fait le lien entre répercussions et antécédents. Pour Mme F. qui a vécu une NDE lors de son accouchement, les changements furent très négatifs : vingt ans de dépression très lourdement traitée. Ce sont les retrouvailles inattendues avec l'ami d'enfance dont elle avait été brutalement séparée à 8 ans (par l'intervention de son père) qui ont déclenché du jour au lendemain les effets de sa NDE : réinvestissement de son corps, perte de 20 kg en un an, appétit pour la vie et mission à accomplir.

Comme si la NDE, couplée avec la naissance de son fils, avait actualisé la perte de son ami de coeur et relancé un deuil non fait. L'amour-lumière peut en effet être comparé, dans sa perfection et dans son caractère régressif, à un amour d'enfance qui comble narcissiquement et panse une éventuelle défaillance parentale. Le contact avec cette lumière n'a probablement pas été suffisamment profond pour réparer l'hémorragie narcissique, et le refoulement vers la vie a pu réactualiser cette perte précoce d'objet d'amour. Le retour de cet ami semble avoir produit, après vingt ans, non seulement des effets de réparation affective, mais aussi des effets de croyance (amour-lumière, survie, etc.). Or, ces croyances ne sont pas directement liées aux retrouvailles, mais à la nature de la NDE.

La NDE apparaît donc dans sa spécificité de réponse globale au problème de la mort. Elle ne se contente pas, en effet, de réparer un deuil particulier, mais se constitue en solution totale par l'accès qu'elle permet au religieux. Il apparaît, néanmoins, que la souveraineté du sujet reste entière, puisque, finalement, la décision lui appartient de la faire advenir ou non comme telle.

Il semble, en définitive, difficile de corréler imminence réelle de la mort, profondeur de l'expérience et importance des répercussions. D'ailleurs, en dehors de cas extrêmes, la gradation des expériences est délicate. Il n'apparaît pas qu'existe en soi un étalonnement d'amplitude de NDE dépendant de changements ultérieurs.

En revanche, la rationalisation, reflet de la croyance dominante (ancienne, nouvelle ou résurgente) semble déterminante pour modeler la NDE, son interprétation et son impact sur la personnalité, lequel se trouve fortement relié à son intégration/compréhension.

Au terme de cette discussion, il apparaît que l'on se trouve devant un tout, non pas comme l'entend K. Ring dans Heading toward Omega (solidarité de l'expérience et de ses répercussions), mais devant un tout complexe donnant forme à l'expérience, pleins et creux à sa mémorisation et réalité aux changements. Dans ce tout s'intriquent solidairement psychique et physiologique, terrain sensible du sujet, caractéristiques de sa personnalité, poids prédictif de ses attentes ou rétrospectif de ses interprétations.

La NDE est bel et bien un phénomène complexe. Et c'est en tant que tel qu'elle s'inscrit dans une recherche scientifique contemporaine.
 
 

1. Cette analyse a été présentée, sous forme de conférence, pour la première fois au colloque international « Libertés et Limites de l'homme », à Chinon le 12 avril 1990, puis à Aspet au colloque « Vivre sa mort » le 17 novembre 1990, à Dinan, avec l'organisation Chrysalide le 8 mars 1991, à Lyon le 24 mai 1991, enfin dans le cadre de l'IANDS, le 12 juin 1991.

La phénoménologie présentée ne prétend pas être une approche scientifique au sens classique du terme. Il convient de la prendre comme un recueil de « faits » ordonnés selon des catégories déjà existantes (les typologies de Moody, Ring, Greyson) et selon les hypothèses de départ des chercheurs français ayant contribué à la mise au point du questionnaire. D'autres hypothèses auraient été émises, nous aurions peut-être découvert d'autres horizons, mais déjà des pistes intéressantes apparaissent, des précisions se dessinent. Le questionnaire est encore un filet à très larges mailles, mais les poissons péchés portent déjà sur eux quelques reflets d'eaux plus profondes.

Tous les éléments techniques (composition de l'échantillon, tableaux récapitulatifs) sont portés en annexe pour ne pas alourdir l'analyse- Les témoignages sont ventilés à travers les phases décrites. Vous n'y trouverez donc pas de récit personnel complet On évite ainsi de tomber dans l'anecdotique pour recentrer sur les structures et les nouveautés.

Cette analyse est à considérer comme une étude préliminaire propre à clarifier certaines confusions, risquer des hypothèses, ouvrir des voies de recherche.

2, L'analogie avec l'escalier n'est pas anodine, puisqu'il indique symboliquement, en psychanalyse, l'orgasme et, en anthropologie religieuse, le passage à un autre plan.

3. Notamment dans le cadre de Transmutation, voir en fin d'ouvrage.

4. Effectivement, expérience du vide n'est peut-être pas la bonne dénomination, car il existe des équivalences extrême-orientales auxquelles cette expression n'essaie pas de se référer.

5. « Childhood Near Death Expériences », Melvin Morse, Paul Castillo, David Venecia, Jerrold Milstein, Donald C. Tyler, in The American Journal of Children's Diseases, novembre 1986, vol, 140. Il s'agit d'une enquête se voulant prospective puisque Melvin Morse a exploré 202 dossiers médicaux d'enfants âgés de 3 à 16 ans. Il en a élimine 125 sur des critères divers (passage par une période d'inconscience, bon état physique et moral avant l'épisode critique, totale récupération neurophysiologique). Sur les 77 restants, 30 étaient indisponibles et 7 ont refusé de participer.

6. « Features of NDE in Relation Whether or not Patients Were Near Death », J.E. Owens, E.W. Cook, 1. Stevenson, in The Lancet, 1990, vol- 336. Enquête rétrospective à partir de 130 cas reçus sur 30 ans. Les auteurs signalent aussi une corrélation significative entre, d'une part, le tunnel et les facultés cognitives et, d'autre part, l'expérience de la lumière.

7. Pour désigner l'expérience de se sentir vivant et autonome en dehors de son corps existent les termes : décorporation, expérience hors corps, transe ecsomatique, OBE ou OOBE (Out of Body Experience).

8. Voir le témoignage de Lyne Léon, Ma mort et puis après, Ph, Lebaud, 1990.

9. Ou dans une approche plus subtile sa discontinuité : le nouvel état marque la permanence de quelque chose, mais n'est pas réductible au précédent.

10. La vie pouvant être le cinquième état de la matière, comme le montre l'analyse de Louis-Marie Vincent, voir « Qu'est-ce que la vie ? », in Bulletin de biologie théorique, n° 16, janvier 1991.

11. " Neuroscience and the NDE : Roles for the NMDA-PCP Receptors, the Sigma Receptors and the Endopsychosins ", K.L.R. Jansen, in Medical Hypotheses. 1990, 31, 25-29.

12. Pas dans le sens strict des statistiques, compte tenu du nombre de cas étudiés.

13, In Les modifiés de conscience, Georges Lapassade, PUF, 1987, pour Suzanne Blackmore, et L'Epiderme nomade et la Peau psychique, éd. Apsygée, 1990, pour Didier Anzieu. Voir aussi en annexe le compte rendu de Sylvie Fréal sur les deux études américaines de la décorporation.

14. Il est intéressant de noter que Didier Anzieu, dans le même livre, mentionne des représentations de l'appareil psychique comme des bulles ou des boules qu'il interprète comme des " signes de la constitution d'un moi-peau autonome et tridimensionnel ". Nous pourrions extrapoler cette interprétation à l'autonomisation de l'entité.

15. Coming Back to Life, the After-Effects of the NDE, Phillis Atwater, New York, Dodd Mead and Company, 1988

16. " The Omega Project : an Empirical Study of the NDE-Prone Personality ", K. Ring and C.J. Rosing, in The Journal Death Studies 1990, 8(4).

17. Ce groupe de contrôle n'est cependant pas le meilleur puisqu'il s'agit de personnes intéressées par les NDE, probablement issues du listing IANDS-Etats-Unis, mais les résultats seraient certainement plus significatifs avec une population néophyte.

18. Parapsychologie et psychanalyse, Djohar Si Ahmed, Dunod, 1990.

19. L'Ecorce et le Noyau, de Nicolas Abraham et Maria Torok, Aubier-Flammarion, 1978 ; " NDE et clinique de la mort dans le travail de Françoise Dolto ", article de Didier Dumas inclus dans cet ouvrage, voir son livre L'Ange et le Fantôme, Minuit, 1985. Sur le même sujet : " Mort/naissance et filiation ", de Jean Guyotat, Masson, 1980, et Généalogie et transmission, de Jean Guyotat et Pierre Fedida, GREUP, Echo-Centurion, 1986.

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3.

LES ENFANTS AUSSI

Évelyne-Sarah MERCIER
Anthropologue



 
 
 

" J'avais à peine neuf ans [... ]. Immédiatement je me suis trouvé sous te plafond, tout éberlué ne comprenant rien à ma position, je voyais bien le corps d'un enfant sur la table, je savais que c'était moi. mais cela ne m'intéressait en rien. "

G.A.R.
(Expérienceur à huit et à quarante-trois ans,
Témoignage IANDS-France)

Que des enfants, qui plus est de très jeunes enfants, aient des NDE, voilà qui est propre à faire douter les sceptiques irréductibles. Il devient, en effet, tortueux de les accuser d'affabulations, de constructions imaginaires, de projections conditionnées par apprentissage... D'ailleurs, les premières études ont montré le peu d'influence des croyances familiales sur le contenu des NDE d'enfants. Il semble bel et bien exister un noyau irréductible de la NDE. On peut donc supposer, a minima, l'intervention d'un inconscient collectif et d'un archétype-NDE. Ce qui revient à dire qu'il y aurait des structures psychophysiologiques préexistantes à notre naissance, sur lesquelles viendraient se greffer des composantes personnelles.

Nous disposons de beaucoup moins de témoignages d'enfants que de témoignages d'adultes. On ne peut pas pour autant en conclure que les NDE d'enfants sont plus rares, Il est même possible que ce soit l'inverse. En ce qui concerne les récits d'enfants, il faut en effet compter avec la barrière parentale. Nous n'y avons accès qu'à travers ce qu'ils ont osé dire à leurs parents, à un proche ou à un psychologue. La façon dont ils intégreront l'expérience est donc fortement dépendante de l'ouverture de cet entourage à l'existence de dimensions transcendantes.

Nous avons eu la chance de tomber sur des parents qui, bien que ne partageant pas complètement les mêmes idées sur la nature du réel - Elisabeth sensible à la transcendance, Pierre plus rationaliste -, étaient suffisamment libéraux pour laisser s'exprimer leur enfant. J'ai ainsi pu avoir un entretien avec Emmanuelle, deux ans et demi après sa NDE. Elle n'avait, en fait, commencé à en parler qu'un an et demi après. Cela se passait dans la salle de bains. Emmanuelle trempait dans l'eau de la baignoire tandis qu'Elisabeth se brossait les dents. C'est alors qu'Emmanuelle, comme si de rien n'était, déclara : " Maman, tu sais, quand j'étais dans le coma, je suis allée en l'air. Je suis revenue parce que j'ai compris que tu m'aimais. "

Elisabeth : " Comment ça, tu as décidé de revenir ? "

Emmanuelle : " Oui, si je voulais, je pouvais décider de mourir. "
 
 

Emmanuelle se divise et se " télétransporte "

A l'âge de dix ans, Emmanuelle a été renversée par une automobile alors qu'elle cherchait à rejoindre sa mère de l'autre côté de la chaussée : traumatisme crânien, coma stade II, transport en service de réanimation, constat d'un coma stade III, six jours plus tard intervention neurochirurgicale, ponction d'un hématome sous-frontal traumatique.

Emmanuelle est une jeune fille toute simple, un peu timide, qui " n'en rajoute pas ". Elle tient, avec ses mots à elle, des propos paradoxaux, dont l'étrangeté la fait éclater de rire. Elle le dit, parce qu'elle y croit. Son rire est la seule réponse qu'elle ait trouvée face à leur apparente énormité vis-à-vis de la rationalité dominante.

Elisabeth, psychologue, lui ayant suggéré d'en écrire l'histoire, Emmanuelle a soigneusement couché ses souvenirs dans un cahier qu'elle aurait aimé faire publier. Il est dédicacé " à toutes les personnes qui ont pu connaître la lumière ".

En voici quelques extraits :

" C'était le noir le plus profond à l'intérieur de ceux qui me regardaient, et ne parlons pas de moi ! Les journées passaient, j'étais toujours endormie, fermée. Je me réveillais petit à petit et les médecins se sentaient moins stressés. Alors je me suis en quelque sorte divisée, je me suis levée et suis allée au bout de mon lit, tout en restant allongée. A ce moment-là, la lumière m'accompagnait. J'étais toujours sur mon lit, mais je me divisais et traversais tout l'hôpital en passant par les couloirs, descendais l'escalier, passais devant le kiosque de jouets. Je suis même allée dehors. C'est dingue, mais c'est vrai ! On a quand même une chance (si on peut dire) d'être dans le coma, car on sait tout ce que pensent les gens et on se sent protégé dans le cocon blanc. À l'école on se moque de moi et on me prend pour une folle à cause de cet accident. Alors si c'est pour penser la même chose, vous pouvez reposer ce cahier. J'espère que toutes les personnes qui l'ont lu vivront ce que j'ai vécu (et s'en tireront, bien sûr). Nous sommes faits chacun pour chacun. Merci de m'avoir lue et d'avoir réfléchi à chaque phrase avec attention. "

Notre entretien a été riche en informations complémentaires.

Emmanuelle est revenue parce qu'elle savait que cela ferait plaisir à sa mère. Maintenant elle n'a plus peur de mourir, parce qu'elle sait qu'elle retrouvera " son lapin, sa mamie et tous ceux qui ont disparu ". Elle ne se sent plus la même, elle " a connu la vraie vie ", elle " devine ce que pensent les gens ".

La lumière n'était pas au bout d'un tunnel, mais proche : " c'est une espèce de lumière, qui vient on ne sait d'où, très forte, comme un soleil, très joli ; elle m'aidait à me réveiller, à aller dans la bonne voie. Je l'ai vue avant ma sortie du corps. Elle était à côté, Elle partait de temps en temps ".

Dans ses explications de la décorporation, on perçoit le poids des conditionnements, mais par moments l'absence de surprise vis-à-vis d'une situation nouvelle : " Je me suis levée de mon lit comme je le fais le matin, et j'ai bousculé un médecin en le traitant d'imbécile, car il aurait pu m'éviter. Je me disais à moi-même : Ils ne font même pas attention à moi ! J'ai traversé des médecins, ça ne fait rien du tout ! Cela me paraissait normal de les traverser ! Quand j'ai quitté ma chambre, dans l'ascenseur, il y avait des médecins avec un brancard. J'ai eu peur parce qu'ils ne me voyaient pas. Dans la rue aussi, les gens ne me voyaient pas, j'ai pensé qu'ils étaient débiles. Puis j'ai compris que ce n'était pas eux, mais moi qui n'étais pas là, il n'y avait que ma conscience. Je n'arrive toujours pas à me l'expliquer. Je suis revenue parce que j'ai eu peur de mourir, je sentais que si je m'éloignais trop, cela aurait été fatal. Le retour dans mon corps a été brutal, d'un seul coup. Dans cet état, on est comme une sorte de vapeur, on a quand même l'impression d'avoir un corps. Comme une ombre. Dans l'avion qui me ramenait à Paris, je me suis télétransportée jusque dans la cabine de pilotage. "

Le coma : " C'est la sérénité la plus totale, on est passif j'étais heureuse. 'l'out est parfait, on est débarrassé de tous ses problèmes. On a l'impression que l'on pourrait tout faire, même sauter par la fenêtre. On est normal et anormal. "

Emmanuelle a eu des visions prémonitoires : pendant son coma à Annecy, elle s'est retrouvée dans une pièce à l'ameublement très particulier. Cette chambre était celle dans laquelle, trois semaines plus tard, à Paris, elle allait suivre une consultation de rééducation fonctionnelle. Dans son coma, elle a également assisté à des scènes du Livre des morts égyptien qu'elle a reconnues, plus tard, à l'école : la pesée des âmes, le monstre dévoreur du coeur des condamnés, etc.

Ses croyances actuelles recouvrent parfois de façon textuelle celles des autres témoins : " la guerre, c'est débile, j'imagine une terre d'entraide ; la vie est une merveille, il ne faut pas la détruire ; après la mort on reste comme on est, l'âme continue à vivre, on ne meurt jamais, on est éternel ; la mort, c'est la vie et la vie, c'est la mort ; alors qu'à la naissance l'âme s'accroche à l'enveloppe du corps, à la mort elle quitte une enveloppe usée ; l'âme ressemble aux premières images échographiques d'un foetus - c'est comme un dessin au feutre indélébile sur un mur : les lessivages l'atténueront, mais elle ne s'effacera jamais ".

Il est difficile de démêler la part de croyances familiales dans les convictions actuelles d'Emmanuelle. A quatre ans déjà, elle avait des rêves prémonitoires et croyait à l'invisible. Mais Elisabeth ne lui a rien dit de spécial sur la mort. On peut noter l'originalité de certaines images, ou certaines expressions, en même temps que leur grande conformité à un fonds culturel commun. Comme pour les autres témoins, c'est la conviction et la redécouverte personnelles qui font toute la différence.
 
 

Reconnaissance de la NDE de l'enfant

L'ayant interviewée en août 1991 et étant moi-même tombée malade six mois durant, tout de suite après, Emmanuelle est restée longtemps sans nouvelles. Très déçue, elle a déchiré son cahier dont j'avais heureusement une photocopie. Cet incident montre à quel point les expérienceurs sont sensibles à l'attitude d'autrui vis-à-vis de leur récit. Raconter est un dévoilement, une marque de confiance, donc une situation de fragilité. Le moindre indice pouvant suggérer une acceptation conditionnelle peut fortement blesser.

Face à son entourage et selon l'état de constitution de sa personnalité, l'enfant pourra prendre plusieurs partis :

- se taire mais conserver sa conviction intérieure, s'il est assez assuré et sent que sa famille n'accepterait pas son récit ;

- en parler spontanément et se voir soit écouté avec intérêt, soit imposer une interprétation réductionniste ;

- introjecter de lui-même les convictions de ses proches et refouler son expérience.

- Il pourrait aussi, à l'inverse, se produire une suggestion, voire une inflation de son expérience, dans le cas de parents " branchés ".

Nous avons ainsi eu connaissance d'un cas de probable refoulement. Tony, âgé aujourd'hui de neuf ans, est passé par un coma alors qu'il avait trois ans. A son retour d'hôpital, il raconta, entre autres, avoir rencontré, pendant son inconscience, son grand-père, décédé avant sa naissance. A la suite de quelques difficultés scolaires, il fut pris en charge par une psychologue qui, face à son désir de parler de cet événement, lui ordonna de ne pas l'évoquer, arguant que c'était le passé, donc terminé. Le petit ne se souvient maintenant plus de rien.

Parmi les témoignages que nous avons reçus, il semblerait qu'une réaction courante soit de n'en pas parler. Instinctivement l'enfant protégerait son intégrité. Comme pour les facultés psi, très rapidement, l'enfant comprend qu'il vaut mieux rester dans " la normalité ".

Au congrès de Washington sur les NDE d'août 1990 1, Melvin Morse a cité le cas d'enfants expérienceurs à six et neuf mois. Le premier en a parlé beaucoup plus tard, l'autre à trois ans et demi.

C'est souvent rétrospectivement que les enfants peuvent soit verbaliser, s'ils sont trop jeunes ou trop inhibés, soit reconnaître leur NDE en tant que telle: à l'occasion de lectures, conversations et/ou d'une autre NDE.

Dans notre échantillon 2, un témoin à l'enfance très maladive avec fréquents évanouissements se souvient d'une expérience qu'elle eut à 6 ans : après être passée dans une sorte de puits, elle eut la sensation de se trouver dans l'eau sans toutefois en être gênée (petit arrêt cardiaque?) puis arriva dans un paysage d'une beauté inhabituelle, avec des objets insolites. Elle s'était sentie " heureuse comme tout ". Régulièrement, par la suite, elle avait guetté son dos dans un miroir, s'attendant à voir des ailes pousser. Indirectement, par ce symbole du vol, nous comprenons que la petite fille a dû vivre une décorporation. Deux événements ont cependant été nécessaires pour que ce témoin réalise ce qui lui était arrivé : une NDE, à l'âge adulte et la lecture de Moody encore plus tard.
 
 

Les NDE d'enfants dévoileraient le noyau dur de la NDE

C'est par hasard que Melvin Morse, pédiatre, a recueilli sa première NDE d'enfant. Ce fut pour lui le départ d'une spécialisation dans la recherche NDE 3.

Katie, neuf ans, était restée, après une noyade en piscine, trois jours sur le fil de la vie, en coma profond et sous assistance respiratoire. Alors que tout espoir semblait perdu, elle se réveilla comme d'un profond sommeil et en l'espace de vingt-quatre heures recouvrit toutes ses facultés. Son cas demeure un mystère pour la médecine. Melvin Morse désirait connaître les conditions de l'accident, pour savoir quel traitement donner à Katie. A peine arrivée, reconnaissant le docteur et prenant sa mère à témoin, Katie décrivit les faits et gestes des médecins pendant son coma, ce dont M. Morse pouvait attester. Puis, à une question vague que lui posait le médecin, sur ses souvenirs de la piscine, elle répondit : " Vous voulez dire quand j'ai vu le Père Céleste ? "

Interloqué mais ouvert, Melvin Morse l'invita à poursuivre. Elle ne se souvenait pas de sa noyade, mais d'abord d'une obscurité et d'une lourdeur. Elle ne pouvait plus bouger. Un tunnel alors se présenta et de ce tunnel arriva une femme qu'elle n'avait jamais vue auparavant, prénommée Elisabeth. Grande, souriante et bienveillante, chevelure dorée et vêtue de blanc, elle accompagna Katie dans le tunnel et lui fit rencontrer son grand-père décédé ainsi que deux jeunes garçons inconnus, Andy et Mark, qui étaient des âmes en attente de naissance. Ils devinrent amis et jouèrent ensemble. A ce moment de son périple, Katie eut le droit d'aller voir ses parents. Elle rapporta ainsi un grand nombre de détails précis et vérifiés sur les occupations de sa famille pendant qu'elle était à l'hôpital : leur emplacement dans les pièces, leurs vêtements, les plats préparés par sa mère...

Ensuite, Elisabeth l'avait conduite voir le Saint-Père et Jésus. Le premier lui avait proposé de rester avec lui et le second demandé si elle voulait revoir sa mère. Sur sa réponse affirmative, elle s'éveilla dans son lit d'hôpital. Dès son réveil, et pendant sa convalescence, elle réclama Mark et Andy. Pour elle, ce voyage n'avait été qu'un épisode amusant de sa vie d'enfant.

Melvin Morse a publié avec quatre autres chercheurs un article de type scientifique sur des NDE d'enfants, dans un très sérieux journal médical américain 4. Ses conclusions sont plus prudentes que dans d'autres publications (moins soumises aux critères médicaux) et peut-être un peu prématurées par rapport au nombre de cas étudiés, mais les hypothèses sont intéressantes.

Les NDE d'enfants seraient plus simples que celles des adultes, plus concrètes, moins mystiques. Contrairement aux adultes, ils rencontreraient des proches vivants : compagnons de classe, professeurs. On y retrouve un noyau commun : décorporation, vision de son corps physique, obscurité, tunnel, retour obligé ou décidé dans le corps. Il y manque généralement les aspects " dépersonnalisation " 5 : revue de vie, modification de la perception du temps, sensation de détachement, transcendance.

Melvin Morse a contrôlé les croyances familiales de ces enfants concernant la mort, la religion, et n'a pas constaté de relations significatives.

Melvin Morse en tire la conclusion qu'il y aurait un noyau dur (primaire) de la NDE apparaissant chez les enfants et un processus concomitant ou secondaire se développant chez les adultes - la dépersonnalisation. La NDE serait le résultat de l'activation de connexions neuronales du lobe temporal, spécialement programmé pour les OBE. Réponse au stress de l'imminence de la mort, l'expérience noyau serait ensuite agglomérée à divers éléments personnels propres au passé de l'expérienceur. Ces éléments secondaires seraient hallucinatoires, mais nécessaires pour donner du sens à l'expérience.

Je crois que Melvin Morse a raison quand il évoque un processus secondaire de symbolisation. Il apparaît nettement dans les NDE d'enfants par différence avec les représentations d'adultes. Je pense aussi que l'imprégnation culturelle et religieuse ambiante ou même ancestrale est plus forte que celle de l'environnement proche. Mais je ne suis pas sûre qu'il faille s'arrêter sur ce cloisonnement noyau dur/dépersonnalisation. Cette catégorie psychiatrique, à connotation négative et irréelle, ne recoupe pas correctement les faits.

Ainsi, un intervenant du colloque de Washington 1, Goran Grip, a vécu, à cinq ans, une NDE complète, avec composantes " dépersonnalisation ", qui n'a rien de pathologique et échappe donc au domaine de la psychiatrie : communication avec un point de lumière qui voulait tout connaître de lui et auquel il aurait bien voulu échapper, expérience d'amour, sentiment d'être hors espace-temps, enseignement sur les conséquences de ses actes.

A la suite de cette expérience, il savait, au-delà des mots, tout ce que les autres pensent et perçoivent, y compris inconsciemment. Un enfant n'ayant pas l'expérience de ce qu'on peut dire ou pas, il communiquait en fonction de ce qu'il percevait et reçut en retour beaucoup d'hostilité. Ce n'est que cinq ans plus tard qu'il prit connaissance de Moody. Anesthésiste, Goran Grip travaille actuellement avec des cancéreux dans une unité de soins intensifs.
 
 

Existe-t-il une symétrie entre l'imminence de la vie et l'imminence de la mort ?

Didier Dumas, psychanalyste travaillant beaucoup avec les enfants, considère que si leur sexualité n'est, aujourd'hui, quasiment plus brimée, il n'en est pas de même de leur spiritualité. Cette dernière subirait donc un statut d'interdit identique à celui qui frappait, hier, la sexualité. Selon lui, l'enfant est encore très proche de cette dimension. Il devrait donc y avoir beaucoup de NDE d'enfants,

Cette position est à rapprocher du concept de " transe néoténique " de Gerda Boyesen 6, utilisé pour rendre compte des observations faites sur son tout jeune fils Dorian : ces transes seraient dues à l'état de prématuration du petit homme, inachevé à sa naissance. 'l'out " comme le mourant tombe dans une espèce de transe d'assoupissement où il oscille entre la réalité et le monde du rêve de façon à se préparer à la mort, de la même façon, celui qui vient de naître se fixe dans un état similaire pour se préparer à la vie ". Juste après la naissance, l'enfant serait encore très lié à la partie la plus primitive du cerveau. Gerda Boyesen évoque, à propos de ces transes, l'hypothèse de " poussées de transcendance " : le nouveau-né, " qui est plus un être éthérique qu'un être physique, retourne si loin vers son origine que les fonctions physiques sont au bord de l'interruption ". D'où la nécessité du maternage intensif dans les premiers mois de la vie. " Si ce lien n'est pas encore installé, il est possible que l'enfant ne revienne plus jamais de son voyage aux frontières de la mort et qu'il meure sans raison apparente. "

La boucle pourrait donc une nouvelle fois se boucler entre la vie et la mort. Ainsi le suggère le cas de cette tribu de Côte-d'Ivoire, les Agnis, dans laquelle les mêmes femmes, avec les mêmes gestes, mais inversés, et pas la même main, préparent les nouveau-nés et les juste-décédés : pour les bébés, la toilette se fait de la main droite et des pieds à la tête, alors que, pour les décédés, elle est faite avec la main gauche et de la tête vers les pieds.
 
 

1. Premier colloque international organisé à Washington par IANDS-États-Unis. J'y ai participé en tant que conférencière représentante de IANDS-France avec deux autres chercheurs français.

2. Analysé dans mon article " Invariance et multiplicité des expériences de mort imminente ".

3. Gloser to the Light, Melvin Morse et Paul Perry, Villard Books, 1990, traduit en 1992, chez Laffont : Les Enfants dans la lumière de l'au-delà.

4, " Childhood Near Death Experiences ", Melvin Morse, Paul Castillo, David Venecia, Jerrold Milstein, Donald C. Tyler, in The American Journal of Childrens'diseases, novembre 1986, vol. 140. Sur 202 dossiers médicaux de l'hôpital des enfants de Seattle entre 1978 et 1984, 125 ont été éliminés pour non-respect des critères d'imminence de mort choisis, Sur les 77 restants, 30 étaient indisponibles et 7 ont refusé de répondre à l'enquête ; 40 enfants ont donc été interviewés. Parmi les 11 qui étaient passés par une phase très critique, 7 avaient eu une NDE. Parmi les 29 n'ayant eu qu'une maladie grave avec perte de conscience, aucun n'avait eu de NDE.

5. Syndrome identifié par la psychiatrie. Voir les nuances apportées par le diagnostic différentiel dans la partie médicale.

6. Georges Lapassade, Les États modifiés de conscience, PUF, 1987.

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4.

DÉSIR DE MORT, DÉSIR DE VIE

La NDE dans les tentatives de suicide

Bruce Greyson
psychiatre


" Mon père est décédé, tout heureux d'aller retrouver sa lumière. "

LC.

(Petit mot reçu en réponse à notre demande d'interview,
après le témoignage écrit que nous avait envoyé un expérienceur,
huit mois plus tôt.)


 

" Il ne faut pas tuer et encore moins se suicider car, pour nous autres, se suicider serait tricher. "

G.A.R.
(Expérienceur à huit et quarante-trois ans,
Témoignage IANDS-France)

La transformation la plus radicale, la plus constante au dire des témoins, a trait à leurs idées sur la vie et la mort. L'étude de l'interaction entre NDE et tentatives de suicide devrait traduire cette évolution ; nous allons explorer dans cet article l'état de nos connaissances sur le sujet : influence des tentatives de suicide sur la probabilité des NDE et influence des NDE sur le taux de suicide.
 
 

Le suicide ne condamne pas à une NDE négative

Le psychiatre David Rosen, le premier chercheur à avoir posé la question, a interrogé des gens qui avaient sauté du pont du Golden Gate, à 67 mètres au-dessus de la baie de San Francisco, saut mortel à 99 % (Rosen, 1975). Il ne retrouva que six rescapés, et inclut dans son échantillon quelqu'un qui avait sauté du pont voisin, sur la baie d'Oakland. Bien que l'étude de Rosen ait été publiée avant que Raymond Moody ne forge le terme de NDE et n'identifie ses composantes de base, les sept sujets de Rosen y décrivaient les caractéristiques d'une NDE : six d'entre eux avaient alors perdu tout sens du temps, et la chute, qui en réalité dure de trois à quatre secondes, leur semblait avoir duré des heures, voire une éternité. Pour tous les sept, la chute avait été tranquille, paisible ; aucun ne vit défiler sa vie, mais l'un d'eux put rencontrer son père décédé ; tous décrivirent une lumière brillante, l'abandon à une puissance supérieure, l'extase, la fusion avec l'univers ; tous firent état d'une sensation de transcendance spirituelle et de renaissance.

Kenneth Ring et Stephen Franklin furent les premiers à avoir conduit une étude auprès d'un large échantillon d'origine variée, recruté parfois par le biais des petites annonces (Ring et Franklin, 1981-1982). Sur trente-six auteurs de suicide, dix-sept, soit 47%, avaient vécu une NDE à cette occasion. Dans le cadre d'une enquête réalisée à l'hôpital de l'université de Michigan, j'interrogeai tous les patients admis pour tentative de suicide (Greyson, 1986). Je disposai ainsi d'un échantillon objectif, sans avoir à compter sur le témoignage d'éventuels candidats à l'interview. Sur 61 auteurs de tentatives, 16, soit 26 %, avaient vécu une NDE.

Ce chiffre de 26 % - alors qu'il était de 46 % chez Ring et Franklin et de 100 % chez Rosen - peut s'expliquer de différentes façons : tout d'abord, Rosen n'avait pas usé de critères objectifs pour définir la NDE : il est donc vraisemblable que certaines des expériences relatées ne seraient plus aujourd'hui considérées comme des NDE. Mais, quoi qu'il en soit, Ring, Franklin et moi avions utilisé les mêmes critères de définition. Pourtant, leur pourcentage d'expérienceurs était près de deux fois supérieur au mien.

Le mode de sélection des sujets est sans doute pour quelque chose dans cette divergence. Mon enquête s'est déroulée dans le cadre de l'hôpital, tandis que Ring et Franklin avaient recruté par la vole des petites annonces. En outre, j'avais interrogé mes patients en tant que psychiatre lors de leur séjour dans l'institution où j'exerçais. Psychosociologue indépendant, Ring avait, quant à lui, rencontré les sujets de son enquête à leur sortie de l'hôpital, dans son cabinet ou chez eux. Les patients hospitalisés répugnent davantage à confier au psychiatre leurs expériences insolites.

La réticence en ce cas peut avoir un rapport avec le contexte de l'interview : le patient peut ne pas se sentir à l'aise face au médecin, ou dans les lieux ; la mémoire des faits peut aussi être émoussée par l'alcool ou les médicaments. En l'occurrence, il est 'intéressant de constater que les " enjambeurs de pont " de Rosen se rappelaient mieux leur NDE que les sujets de Ring ou les miens qui avaient tendance à abuser des calmants. N'oublions pas que ce n'est pas la NDE qui est ici l'objet de notre étude, mais plutôt la disposition de l'expérienceur à en parler, et qu'il peut avoir plusieurs raisons de préférer taire l'information.

La plupart des suicidés font état de NDE comparables aux autres. Elles ne sont ni plus pénibles ni plus négatives ou abominables. De fait, ceux qui souhaitent mourir ont des NDE plus positives que ceux qui désirent vivre. Dans une étude que j'ai réalisée avec lan Stevenson (Greyson et Stevenson, 1980), 74% des sujets souhaitant la mort ou qu'elle laissait indifférents avaient eu une NDE agréable, contre 59 % de ceux qui étaient attachés à la vie.
 
 

NDE et désir de suicide :

un paradoxe qui pose question

La NDE a-t-elle une incidence sur les envies de récidive ? Pour aborder cette question, il faut commencer par déterminer les facteurs qui entrent enjeu dans la démarche suicidaire. En général, quelqu'un qui pense à se donner la mort a le désir de mourir et celui d'échapper à la souffrance de vivre. C'est quand la mort revêt plus d'attraits ou que la vie devient plus douloureuse que le risque de suicide augmente. Par ailleurs, parmi les facteurs qui font que l'on continue à vivre, il y a la peur de la mort et le désir de vivre. Le risque de suicide décroît donc lorsque la peur de la mort augmente, ou que la vie revêt plus de sens ou plus d'attraits.

Le problème ainsi posé, quelles sont les retombées courantes d'une NDE ? Pour la plupart des gens, la NDE est une expérience prodigieusement positive, qui les submerge, d'une beauté sublime, transcendantale. Ils en retirent une vision séduisante de la mort : plusieurs expérienceurs ont parlé de leur douleur ou de leur tristesse lorsqu'ils ont dû revenir à la vie, et assurent attendre avec impatience le moment de mourir à nouveau. Cette manière de voir la mort devrait logiquement conduire au suicide.

D'autant que, pour la plupart, la vie est plus difficile après une NDE. Leurs intimes, leurs proches ont du mal à comprendre ou à accepter leur nouvelle échelle de valeurs, leurs nouvelles convictions ; il leur est parfois impossible de reprendre le cours de leurs activités, de réintégrer le cercle des amis et connaissances. En général, ils ne se sentent plus adaptés à la vie de tous les jours sur le mode qui était le leur. Ils ont vécu une expérience transcendantale, ont été touchés par un amour inconditionnel, ont éprouvé un savoir illimité, mais il leur faut retrouver le monde physique et ses problèmes.

Certains considèrent que cette transformation en eux doit se traduire par des changements dans leur mode de vie, leur carrière professionnelle et leurs fréquentations, La famille et les amis la plupart du temps ne peuvent les suivre, désirent qu'ils s'amendent, et finissent par les rejeter ou les ridiculiser. La vie est donc beaucoup plus difficile après une NDE, en dépit du fait qu'il s'agit d'une expérience extraordinairement positive (Greyson et Harris, 1987 ; Atwater, 1988). Ces nouvelles souffrances devraient théoriquement attirer les sujets vers le suicide.

Enfin, la conséquence la plus courante d'une NDE, c'est une diminution, voire la disparition complète de la peur de la mort (Moody, 1975 ; Noyés, 1980 ; Ring, 1984). Le cardiologue Michael Sabom fat le premier à le démontrer de manière objective en comparant sur une échelle de mesure la peur et la pensée de la mort chez des expérienceurs et chez des malades cardiaques (Sabom, 1982). Ce dernier facteur devrait constituer une raison de moins pour continuer à vivre, et logiquement une raison de plus pour vouloir mettre fin à ses jours.

A ce point de notre recherche, nous pourrions conclure que les NDE encouragent les gens à se donner la mort. Elle y devient romanesque, plus engageante qu'en réalité. Les NDE rendent la vie plus difficile, plus douloureuse et diminuent la peur de mourir. Pourtant, toutes les études réalisées jusqu'à présent ont démontré que, parmi les rescapés du suicide, ceux qui ont vécu une NDE deviennent, de ce fait même, farouchement opposés au suicide. Des sept survivants de Rosen, aucun n'a récidivé, et tous ont préconisé la pose sur le pont d'une rambarde pour empêcher les gens de sauter. Quant aux dix-sept rescapés de Ring et Franklin, ils ont publiquement condamné le suicide, et plusieurs d'entre eux se sont proposés pour conseiller et dissuader ceux qui pourraient songer à s'ôter la vie.

Pourquoi les expérienceurs sont-ils moins enclins au suicide, alors que de nombreux facteurs devraient les y engager, après leur retour à la vie ? Cela ne peut s'expliquer que par le désir de vivre, et c'est dans cette direction que nous orienterons nos recherches sur les effets dissuasifs de la NDE.
 
 

Douze répercussions dissuasives de récidive

Pourquoi la NDE augmenterait-elle les raisons de vivre ? Pour les besoins de mon enquête, j'ai interrogé des rescapés devenus moins suicidaires à la suite d'une NDE. J'ai classé leurs réponses par ordre décroissant de fréquence, en douze catégories ou mécanismes psychologiques produits par l'expérience, et intervenant dans l'abaissement du désir de suicide :

1. La « fusion cosmique » : c'est le sentiment de faire désormais partie d'un tout qui dépasse l'individu. La sensation d'être en harmonie avec la nature, ou partie intégrante de l'univers, bien plus qu'avant la NDE.

2. Le « désinvestissement » des échecs et des pertes : la NDE permet de relativiser les problèmes qui ont pu conduire au suicide. Les problèmes sont toujours là, mais ils n'ont plus le même sens. Le rescapé est porté à se reconsidérer indépendamment des circonstances extérieures.

3. La revalorisation de la vie : la vie leur paraît désormais avoir plus de sens, de valeur, de prix, de saveur ; ils savent mieux en jouir.

4. La reconnaissance de la vie : la vie leur semble plus réelle qu'avant ; ils se sentent revivre, ou vivre pour la première fois.

5. Une meilleure image de soi : sens accru de la dignité personnelle, du respect de soi ; les rescapés rapportent qu'ils sont plus à l'aise dans leur peau : ils savent désormais que la mort ne sera pas leur fin, ou que quelqu'un - Dieu ou le Destin - les a jugés dignes d'être sauvés.

6. L'« attachement symbiotique »: le rescapé a le sentiment qu'un lien l'unit à tous les autres. A la différence de la fusion cosmique - ce sentiment d'être relié à l'univers, mécanisme le plus cité -, c'est la sensation plus modeste ou plus spécifique de ne faire qu'un avec les autres, et donc de n'être plus seul, ou différent.

7. Le fatalisme : le rescapé comprend que son " heure n'était pas venue ", ou qu'il a voulu forcer le destin, ou que de toute façon la mort ne pouvait être une échappatoire.

8. Réexamen et bilan plus positif de l'expérience personnelle : les rescapés rapportent que le " passage en revue " de leur vie au cours de la NDE les a aidés à résoudre d'anciens conflits, ou à considérer les problèmes et les déceptions sous un autre angle. La « revue de vie » dirigée, assistée, constitue une technique thérapeutique courante et très efficace de la préparation des personnes âgées aux dernières étapes de l'existence.

9. Amélioration de fait de la situation personnelle (bénéfice secondaire de la NDE) : les témoins croient à la résolution de leurs problèmes comme un effet de l'expérience.

10. L'impératif moral : l'expérienceur a la conviction que le suicide était une faute morale, qu'il aurait dû être puni pour s'être donné la mort, ou que d'autres auraient pu en souffrir.

11. Le sacrifice de l'ego : il consiste à amputer le moi de ses composantes indésirables ou repoussantes, afin de lui permettre de continuer à fonctionner. La NDE est ainsi perçue comme une forme de compromis thérapeutique entre le désir de mourir et celui de continuer à vivre, où le fait d'avoir frôlé la mort apparaît comme une punition suffisante en soi pour apaiser toute culpabilité.

12. Enfin, la douzième raison de continuer à vivre, c'est la peur de devoir en passer par là à nouveau, la peur de l'expérience, trop effrayante, bouleversante ou douloureuse.

Ce classement nous permet de constater que les six premières raisons avancées par les suicidants de ne pas récidiver après une NDE sont d'ordre transcendantal, tandis que les six dernières sont plutôt pragmatiques. En d'autres termes, les rescapés attribuent le déclin de leur désir de mourir à une attention plus tournée vers les questions transcendantales. Mais ces nouvelles dispositions seraient-elles imputables à la tentative de suicide plus qu'à la NDE ? La plupart de ceux que nous avons interrogés juste après l'acte nous ont fait part de leur soulagement d'être toujours en vie, et de leur intention de ne pas recommencer de sitôt. Les suicidants visionnaires sont-ils différents des autres auteurs de suicide ?

De fait, si l'on compare les suicidants visionnaires et les non visionnaires, ce sont les questions existentielles et transcendantales qui les différencient, et non pas les aspects purement matériels de leur retour à la vie. Une analyse factorielle de ces douze mécanismes psychologiques nous permet de les ramener à trois facteurs : un facteur transpersonnel, avec le mécanisme de la fusion cosmique, de la vision transpersonnelle et du désinvestissement ; un facteur pragmatique, avec le sacrifice de l'ego, le nouveau bilan, la résolution des problèmes ; et un facteur mystique, avec le mécanisme de la punition, le fatalisme et l'impératif moral. Les données obtenues à partir d'interviews avec des expérienceurs nous montrent qu'il y a une corrélation entre le facteur transpersonnel et la profondeur de la NDE, ce qui n'est pas le cas pour les autres facteurs. Ainsi donc, plus l'expérience aura été complète, plus la probabilité sera grande pour que le rescapé avance des raisons transpersonnelles de vivre,

En conclusion, toutes les données recueillies sur les effets dissuasifs de la NDE en matière de suicide tendent à montrer que, si les NDE donnent une vision romanesque de la mort, elles en font autant pour la vie, à laquelle elles donnent un sens et une valeur. Dépassant le cas des expérienceurs, nous conclurons indirectement à l'importance des études sur les NDE pour l'humanité en général. Si nous pouvons étendre nos conclusions à tous, il apparaîtrait que, en concentrant leur action sur la résolution des problèmes matériels, ou d'adaptation, et sur la consolidation de l'ego, les 'interventions pratiquées par de nombreux services de prévention du suicide restent inefficaces. Ce qui fait que les gens choisissent de vivre, c'est une vision transpersonnelle de la vie et de la mort.

Ces données nous amènent à nous interroger sur la validité de nos thérapies ayant comme finalité de restructurer l'ego. Aider les suicidaires à trouver un sens et un but à leur vie est plus utile que de leur apprendre à supporter le quotidien. Les problèmes qui pourraient faire naître des idées de suicide seront toujours là. Apprendre à gérer ces problèmes me semble inefficace en matière de prévention tant qu'on n'a pas acquis la conviction qu'ils jouent un rôle déterminant dans un contexte plus large.

Ce panorama de l'impact de la NDE sur les idées de suicide montre que c'est dans son pouvoir de transformer l'individu, dans ses effets secondaires que réside l'importance de cette expérience pour l'humanité. La NDE mérite l'attention des scientifiques et du public, non pas nécessairement pour ce qu'elle nous révèle sur la nature de la mort, mais pour ce qu'elle nous apprend sur la valeur de la vie.
 
 

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Deuxième partie

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