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placement EHC: Expérience Hors du Corps

L'Expérience Hors du Corps (OBE: Out of Body Experience) est une forme de conscience "déconnectée" du corps physique où le sujet est non seulement son propre observateur extérieur mais aussi celui de son environnement immédiat; lorsque que le sujet accède à d'autres environnement, réels ou plus hypothétiques, on parle alors de "voyage astral". Cette expérience est fréquemment l'amorce  d'une EMI (phase autoscopique), cependant elle n'est pas nécessairement liée à un danger de mort imminente même objectivée (Fear Death Experience), elle peut-être plus ou moins spontanée voir fréquente chez certains sujets. (pour en savoir plus, lire cet article)


 

En montagne: petite chute mais grands effets!


Vers l'âge de 16 ou 17 ans (j'en ai maintenant 42), j'ai fait une chute accidentelle en montagne tombant du sentier qui descend du Plan de l'Aiguille à Chamonix, dans une combe broussailleuse à 2 ou 3 mètres en contre-bas, alors que je courais pour rejoindre le groupe de la sortie géologie organisée par l'Office du Tourisme de Combloux que j'avais laissé me dépasser en m'attardant à examiner quelques roches.

Dans ma course, j'ai raté un virage et je suis donc tombé 2 ou 3 mètres plus bas sur le derrière (ne riez pas ! De cette hauteur c'était déjà une chute dangereuse, même sur le postérieur !), et je me suis évanoui.
C'est à dire que tout s'est obscurci en une fraction de seconde et que j'ai perdu connaissance. Puis après un temps très court (quelques secondes peut-être), mon champ de vision s'est de nouveau éclairci; je revenais à moi; sauf que je me suis vite rendu compte que quelque chose clochait : je voyais tout cet environnement de ciel, de végétation et de montagne TOUT AUTOUR DE MOI, DANS UN CHAMP DE VISION A 360°... et LE CIEL ET LE SOLEIL ÉTAIENT EN BAS, ET LES MONTAGNES, LE SOL ET LA VÉGÉTATION EN HAUT ....
Bien que cela n'ait aucun sens pour moi (j'étais alors athée et rationaliste), il fut tout de suite évident que je n'avais pas de corps, que je n'étais qu' un point de conscience dans la vallée de Chamonix quelque part sur le flanc de montagne du Plan de l'Aiguille, un point de conscience qui serait comme un 'il à champ de vision sphérique. D'abord intrigué par cette situation assez cocasse et ludique, je me rappelle avoir pensé avec humour "Bon, remettons déjà les choses à leur place !", et avoir "tourné mon regard" comme je l'aurais fait avec mes yeux de chair afin que le sol et la végétation se retrouvent en bas et le ciel et le soleil en haut. C'est alors que j'ai pleinement réalisé ce qui m'était arrivé, c'est à dire la séparation de mon corps qui gisait forcément quelque part, et que je devais absolument retrouver et réintégrer dans les plus brefs délais sous peine d'en être déparé définitivement par la mort, puisque mes quelques petites connaissances de biologie me rappelaient qu'un cerveau non-irrigué par la circulation sanguine pendant plus de 5 minutes était définitivement mort. La surprise de cet état de conscience hors du corps était très rassurante sur ce que devait être la mort, puisqu'il était manifeste que je survivais sans mon corps, et ce avec des possibilités de mobilité fulgurante très agréable (ma simple attention vers un recoin de montagne m'y transportait instantanément), mais en dépit de cela, je réalisai que ma disparition de ce monde serait un enfer pour mes parents, mon frère et ma soeur, et que je n'avais tout simplement pas le droit de perdre une seconde à batifoler, mais que je devais réintégrer mon corps au plus vite.
Mais mes 1 ou 2 déplacements ludiques m'avaient d'autant plus désorienté que je n'était même pas sûr d'avoir été au dessus de mon corps lorsque j'avais repris conscience. Puisque ma conscience se déplaçait apparemment avec une versatilité et une instantanéité extrême, à la moindre attention à un point éloigné et au moindre désir de le voir de près, j'avais peut-être repris conscience à 500 mètres de mon corps ? ou à 3 kilomètres ? Comment savoir ?

Cette désorientation était d'autant plus importante que je n'avais pas de point de référence pour juger de ma hauteur par rapport au sol : je pouvais confondre un rocher de quelques dizaines centimètres auprès duquel je me trouvais avec une montagne. Prendre de la hauteur pour me repérer par rapport à l'Aiguille du Midi ? Non, j'avais trop peur de ne pas arriver à redescendre à l'aplomb et de ne pas pouvoir retrouver mon point de départ, qui malgré tout devait être le plus proche de mon corps physique. Mes déplacements étaient trop instantanés et sans aucune maîtrise de la distance parcourue, et mon appréciation des échelles d'espace et de hauteur était beaucoup trop précaire pour prendre ce risque. Je me suis donc repéré à la taille des plantes et des brins d'herbe pour m'assurer que je ne m'éloignait pas du sol de plus d'un ou deux mètres et je me suis mis à fouiller les taillis aux alentours, surtout en contrebas et en surplomb du sentier lorsque je le croisais.
J'évitais de regarder les montagnes autrement que par un regard le plus rapide et le plus global possible afin de ne pas me retrouver projeté en un endroit que j'aurais fixé à plusieurs kilomètre de là, encore que ces quelques "coups d''il" rapide ne me fournissaient pas de points de repère reconnaissables, à part l'Aiguille du Midi trop éloignée des nombreux sentiers qui descendent du Plan de l'Aiguille. D'ailleurs, ce réseau complexe de sentiers que j'avais aperçu de loin (lorsque j'avais repris conscience à quelque hauteur et que je m'étais "retourné" pour "remettre le ciel en haut"), ce réseau aperçu en vue aérienne ne m'avait pas permis de reconnaître le sentier particulier que nous avions emprunté pour descendre, cette vue aérienne n'offrant aucun des points de repères que j'avais observés en marchant au sol pendant la randonnée.
Plus le temps passait, plus je réalisais que je n'avais aucune chance de retrouver mon corps par cette méthode, mon corps se trouvant peut être à des kilomètres de ces mètres carrés que j'étais en train de fouiller...
J'étais désespéré par la mort définitive de mon corps qui allait plonger ma famille dans l'horreur, je ressentais une culpabilité folle de ne pas avoir été prudent en courant sur ce sentier, et quasi-instinctivement, je me suis dit que si la survie de la personnalité hors du corps n'était manifestement pas des sornettes, le Dieu de mon grand-père était peut-être tout aussi réel, et que ça valait peut-être le coup d'essayer de Lui adresser une prière... De toute façon, j'avais épuisé toutes les solutions possibles par moi-même...
C'est donc cette prière que je lançai à l'Éternel avec toute la force et la détermination de mon désespoir ( "Mon Dieu, faites que je me retrouve maintenant dans mon corps, je vous en supplie mon Dieu") qui m'a replacée dans mon corps en un temps nul, sans aucune sensation de déplacement, et avec une douleur fulgurante dans l'arrière-train formidablement matérielle au niveau du coccyx au moment où j'en prononçais (mentalement) le dernier mot.
Mais cette douleur fulgurante était un vrai bonheur, prouvant de la façon la plus absolue qui soit que ma famille n'aurait pas à apprendre la nouvelle affreuse de ma mort. Je me suis très vite relevé, et malgré une douleur vive et une démarche très mal assurée, avec toute la force de la gratitude d'être revenu à la vie, en une dizaine de minutes j'ai rejoint comme si de rien n'était le groupe qui s'était arrêté un peu plus bas pour examiner des pierres, et qui n'avait pas remarqué mon absence. Je me suis donc mêlé au groupe qui ne m'avait pas vu arriver (absorbé dans ses observations minérales et par les explications du guide), profitant de ce moment de répit pour rassembler le courage nécessaire aux 1 ou 2 kilomètres de marche pour redescendre à Chamonix sans que personne ne s'aperçoive que je boitais, ce qui fut d'autant plus facile que les participants sont redescendus tout en continuant leur discussion sûrement passionnante avec le guide sans prêter la moindre attention au participant qui suivait quelques mètres en arrière, participant qui s'émerveillait au même instant sur une expérience autrement plus passionnante que l'observation de quelques bouts de granite, même avec un mal au coccyx abominable... A quoi bon donner des explications puisque personne ne m'en demandait ? De toute façon, la vérité entière m'aurait fait passer pour un détraqué, et j'étais trop stupéfait par ce qui venait de m'arriver pour inventer une histoire à la fois plausible et qui ne mette pas en difficulté le guide qui n'avait tout de même pas été très professionnel en ne remarquant pas la disparition d'un de ses randonneurs, ce qui aurait pu provoquer des chicanes de mon père une fois revenu à Combloux (j'étais mineur), et de plus, un retour au chalet sans incident m'éviterait la tentation de partager cette aventure abracadabrante avec des parents rationalistes qui n'auraient pu que s'affoler et craindre que je ne sois littéralement "tombé sur la tête".
Il a fallu un peu de courage pour faire semblant de rien les premiers jours, surtout quand je m'asseyais sur la banquette (heureusement garnie de coussins) au moment des repas, mais c'était un bien petit prix pour la connaissance infiniment précieuse que j'avais apprise, que la mort de la personnalité n'existait pas. J'avais bien mal au c... mais j'étais heureux comme un roi ! Lorsque j'ai raconté cette expérience à mes parents une quinzaine d'année plus tard, peu de temps après le suicide de mon frère P., ils n'ont rien répondu et ont dévié la conversation sur autre chose.
Pourtant, s'ils avaient eux même eu la chance de sortir de leur corps, s'ils SAVAIENT que P. est vivant comme je le SAIS, comme leur vie serait différente...


EHC



Expérience d'une autre dimension (?)


Cela se passe en 1965, mais le souvenir est si net dans ma mémoire que c'est comme si c'était arrivé tout à l'heure. A l'époque, j'ai 34 ans. Je travaille comme traducteur à l'Organisation mondiale de la Santé. Je suis marié, père de trois enfants. Mon existence est sans grand problème. Je me porte très bien et n'ai pas de soucis particuliers. Je suis un tala (« va -t-à la messe » = catholique pratiquant. Je suis revenu à la religion après une phase athée matérialiste qui s'est étendue entre les âges de 16 et 29 ans).
Ce jour-là, à la pause café, je discute avec un groupe de collègues. La conversation se met à tourner autour de la religion. Un collègue dit : « Dieu est le produit de l'imagination de l'homme ». Nous continuons à discuter tranquillement quelques minutes puis repartons à nos travaux respectifs.
Le soir, au dîner, je raconte cette conversation à Nicole, ma femme, mais nous n'y attachons pas d'importance particulière. Nous allons nous coucher. Je me réveille vers trois heures du matin. Je suis étendu sur le lit, sur le dos, très relaxé. Je sens le corps de Nicole à côté du mien. Tout à coup, je « pars ». C'est ici que cela devient impossible à décrire. C'est comme un envol. Mon corps est là, inerte, mais je ne suis plus dedans. Je me retrouve projeté d'un coup dans une autre dimension. Je ne suis plus dans l'espace-temps habituel. (Ces mots sont tout à fait inadéquats, mais je ne sais comment exprimer cette sensation). Je suis « ailleurs ». 
Il y a, très intense, une présence. Je me trouve comme à une bifurcation. Deux chemins se présentent, qui sont comme marqués en lettres de feu (ce n'est pas ça du tout, mais c'est un peu comme ça, en ce sens que ce n'est pas de l'ordre de l'idée, du concept, mais beaucoup plus concret, c'est de l'ordre de la perception : c'est moins « je comprends » que « je vois »). Il y a d'une part « Dieu est le produit de l'imagination de l'homme » et d'autre part « L'homme est le produit de l'imagination de Dieu ». Je me trouve devant un choix, acculé à choisir, mais il ne s'agit pas d'un choix intellectuel. Cela se passe à un tout autre niveau, que je ne sais comment qualifier. Peut-être « tragique ». Ou « grave ». La responsabilité que je dois assumer a quelque chose d'immense, de supraterrestre, d'éternel. Oui, c'est assez ça, j'ai le sentiment que c'est mon éternité qui se joue là. Je me suis souvent dit par la suite que j'avais vécu là ce que les religions disent qu'on vit après la mort. En fait, la présence ressentie est celle de Dieu (ce terme n'est pas juste parce qu'il évoque ce qu'enseignent les religions, or celui dont la présence se manifeste est très différent, du moins de ce que le mot « Dieu » évoquait pour moi avant cette rencontre, mais je ne sais comment l'appeler. J'ai été tenté de dire « Grand Mystère », mais ce n'est pas cela non plus. Autre possibilité : l'Éternel. Mais finalement, le plus simple est tout de même de dire : Dieu). C'est Dieu, et il est évident. 
Éclate alors en moi un conflit qui est la chose la plus terrible que j'ai vécue de ma vie (pourtant j'ai dû faire face à ma mort au moins trois fois, la première à l'âge de neuf ans, mais toutes les choses difficiles que j'ai pu vivre sont sans comparaison avec cette expérience). Le conflit vient de ce que je vois Dieu, je vois que c'est Dieu qui Est, mais tout mon être me porte à souscrire à l'idée « Dieu n'est pas, ce n'est qu'un produit de l'imagination de l'homme ». Je sais que c'est faux, je vois que c'est faux, mais je veux que ce soit vrai. Ce que je vis là pourrait passer pour élémentaire, une sorte de caprice infantile. Ce serait d'une simplicité enfantine si c'était intellectuel. Mais ce ne l'est pas. C'est un conflit, un tiraillement, un écartèlement. Il y a une puissance inouïe qui, avec une force difficilement surmontable, me tire vers l'affirmation « Dieu n'est que de l'imaginaire ». Même dans le moment où je suis sur le point de céder à cette incroyable pression, je sais que c'est faux, que c'est Dieu qui Est, mais la tentation de me mentir à moi-même et de nier ce que je vois est d'une force incroyable. Je n'ai jamais ressenti quoi que ce soit de pareil, ni avant, ni après. Or, cela se situe presque exactement au milieu de la vie que j'ai vécue jusqu'à aujourd'hui.
Je suis alors pris par un mouvement de haine comme, de nouveau, je n'en ai jamais connu. Je hais ce Dieu que je vois et dont je vois l'infinie bonté. Je veux le détruire, l'anéantir, le supprimer. Lui cracher au visage (il n'y a pas de visage, pourtant ... comment dire ?... c'est extrêmement concret, mais sans aspect). Je veux le torturer, le faire souffrir, le faire payer. Je sens en moi une force destructrice qui m'épouvante. Je n'avais pas cette image de moi. Je suis atterré de me découvrir sadique et d'avoir envie d'exercer mon sadisme sur ce Dieu. Pourtant je vois bien qu'il ne me nargue pas, qu'il ne me demande rien, qu'il m'aime. Mais justement, tout cela est insupportable. Je voudrais qu'il me nargue, qu'il me méprise, qu'il me limite en quelque façon, que je puisse avoir une raison de lui en vouloir. Je n'ai pas envie d'être aimé par ce type-là. Je suis aussi furieux contre moi parce que je le déteste et qu'il n'a rien de détestable et que de percevoir ces contradictions, cela m'énerve. Plus que cela : cela me met en rage. Oui, c'est une véritable rage que je vis là. D'avoir vécu cela me permet de comprendre, aujourd'hui, les gens qui cassent tout. 
Ce qui est très difficile à évoquer, c'est le temps. Il n'y a pas de temps, mais il y a quelque chose comme une durée. En fait peut-être que c'est moins une durée que des degrés d'intensité. Quoi qu'il en soit, j'ai l'impression que cela dure longtemps. Que ma rage se prolonge. D'une certaine manière, que c'est une éternité. D'ailleurs, de le raconter, j'ai l'impression d'y être encore, comme si c'était présent. Cette sensation d'éternité, de permanence, je la percevrai pendant toute l'expérience, bien qu'il y ait des phases différentes. C'est un peu comme si c'était des scènes qui se succèdent d'un point de vue logique, mais qui sont simultanées, qui sont, chacune, éternelles. Et dans chaque « instant » (scène, moment, séquence, épisode, module?) je me sens totalement libre, bien que soumis à des pressions et des attirances d'une intensité sans équivalent sur terre. Je suis libre : le choix est le mien, uniquement le mien. Ceux qui me tirent chacun de son côté sont très forts, infiniment plus forts que moi, mais c'est moi qui déciderai de quel côté je cède. En cela je suis vraiment libre. Et je suis absolument seul dans cette liberté.
Je n'imaginais pas qu'on puisse haïr avec cette force. Aussi avec ce sentiment horrible d'être coincé. Parce que je vois bien que j'ai tort de haïr, je vois que ma haine ne débouche sur rien, ne peut rien. Je suis impuissant et furieux d'être impuissant. Je vois aussi que l'objet de ma haine ' Dieu ' est innocent, donc que je suis injuste. Je n'ai jamais eu envie d'être injuste. Mais le sentiment de haine et de rage est d'une puissance que rien de terrestre ne peut évoquer. Cela a quelque chose de cosmique. Pour un peu, je dirais que c'est de l'ordre du Big Bang, que l'explosion de colère est comme une explosion qui crée l'univers. Cela me paraît très prétentieux d'écrire cela, mais j'essaie de rendre l'intensité du sentiment. En une trentaine d'années de pratique « psy » je n'ai jamais rencontré chez un seul patient une intensité de sentiment négatif comparable à celle qui m'habite à ce moment-là. Je veux tuer Dieu, et qu'il meure dans le tourment.
Et dans le même temps, ce qui n'arrange rien, au contraire, je vois que c'est idiot. Non seulement je suis injuste, coupable et impuissant, mais en plus je constate que je suis bête. On ne peut pas tuer Dieu, et je le vois, je n'ai même pas l'excuse d'une illusion d'optique. Ce sentiment de bêtise n'est pas le plus facile à vivre vu l'intensité du séisme qui m'ébranle.
Mais c'est probablement lui qui me sauve parce que le moment vient où je me dis : « Cela ne sert à rien de nier l'évidence ». Ce que je vois est en effet plus évident que quoi que ce soit qui ait été évident pour moi depuis ma naissance. C'est plus réel qu'aucune des choses  réelles auxquelles j'ai eu affaire dans mes 34 ans d'existence sur terre. À vrai dire, c'était même plus réel que le texte que je vois en cette seconde précise sur mon écran. Je ne doute pas de sa réalité, mais elle est moindre que Dieu tel que je l'ai vu dans le moment que j'essaie de décrire. C'est cette Personne Éternelle qui est réelle, et tout le reste qui est, d'une certaine manière, imaginaire.  Puisque ça ne sert à rien de nier ce qu'on voit sans doute possible, je vais essayer de surmonter ma résistance à le reconnaître. En effet, cette « vision » de Dieu dépasse en indubitabilité tout ce que j'ai jamais perçu, sur terre. Sur terre, on n'est jamais tout à fait loin d'un doute, d'une hésitation. On a l'expérience de l'illusion d'optique, des mots mal entendus, des fois où on a cru voir et où on s'était trompé, d'où une impression générale qu'il n'y a pas d'évidence à 100%. Ici l'évidence est d'une luminosité terrifiante, il n'y a pas moyen de se dire quelque chose comme : « peut-être que je vois mal », « peut-être qu'il y a quelque chose qui déforme », « attendons, vérifions, ce sera peut-être différent ». Il y a quelque chose de définitif, d'implacable dans l'évidence. 
Il y a donc un moment où cela paraît vraiment trop bête de nier l'évidence. Bien que toute une partie de moi hurle : « Il vaut mieux faire une bêtise et être que se soumettre à la raison et cesser d'exister », j'opte ' au prix d'un immense effort, quelque chose qui ressemble à une tension maximale d'un muscle dont on sent qu'il va craquer, parce que ce que l'on fait est au-delà de notre force ' pour « L'homme est le produit de l'imagination de Dieu » , ce qui implique « Je ne suis pas (par moi-même), je suis le produit de l'imagination de Dieu, je suis un personnage dans le rêve de Dieu ». Plus tard, je me dirai que ce pour quoi j'ai opté, sans me le formuler comme cela à l'époque, c'était  « je suis créé » et que donc, avant, si j'acceptais avec ma tête que j'étais sorti du néant par l'action de Quelqu'un, je le refusais avec mes tripes, sans me douter le moins du monde que je le refusais. Cela m'a rappelé la Genèse, quand le serpent dit : « Si vous mangerez de ce fruit, vous serez comme Dieu ». Mais reprenons le récit.
Non seulement l'effort est énorme, mais c'est tout à fait à contre-c'ur  que j'opte pour la réalité. Elle ne cesse pas de me répugner. Mon sentiment est quelque chose comme : « Tu gagnes, mais c'est pas juste, c'est pas normal, c'est simplement parce que tu es le plus fort, c'est facile ' et dégoûtant ' de s'en prendre à des petits ». Là aussi je me rends compte que je triche avec moi-même. Il n'y a là rien de dégoûtant. La rivalité entre Dieu et moi n'a pas de sens, elle ne correspond à rien de réel, il est absurde qu'il y ait un perdant et un gagnant. Je vois d'ailleurs que du point de vue de Dieu, tout cela n'a pas de sens. C'est peut-être d'être à ce point tout le temps renvoyé à moi-même qui me met en rage. Parce que, même maintenant que j'ai opéré mon choix, et je sens qu'il est définitif, je continue à vivre des remous affectifs d'une incroyable intensité. Je ne suis pas serein, je suis furieux. Je voudrais que tout soit différent, mais enfin, je reconnais, sans aimer ça du tout, que j'ai tort, que ma rage est idiote, n'a pas de raison d'être. Que Dieu n'a jamais voulu m'humilier, au contraire. Il m'aime d'un amour inconditionnel, et je le vois.
Là intervient une sensation très bizarre, le sentiment que Dieu pense : « C'est de la bonne bagarre, c'est chouette, celui-là n'est pas facile, mais c'est sympa de boxer comme ça tous les deux ». De nouveau, les mots sont inadéquats, mais ce que je ressens, c'est qu'un sentiment de dignité m'est conféré. Bien que je perçoive mon extrême insignifiance, le regard de Dieu fait de moi un être immensément important pour lui. Je suis à la fois totalement dépourvu d'importance et totalement important, mais le deuxième est un cadeau gratuit. Le premier vient de l'univers, du hasard, des gènes, de la nécessité physique, le deuxième vient de Quelqu'un qui donne sans en tirer le moindre avantage personnel. Mais les deux coexistent. Je suis à la fois produit insignifiant d'une succession de hasards et Fils aimé d'une Personne Éternelle. 
A ce moment se produit un des éléments les plus bizarres de ce vécu. Bien que je ne sois pas dans mon corps (je le sens hors de moi, étendu sur le lit, dans un autre monde), j'ai une forme. Je suis du rien ayant une forme! Et la forme qui est moi se met à genoux et pose le front sur le sol (il n'y a pas de sol, mais...), dans l'attitude d'un musulman qui prie. De fait, j'entends comme si tout l'univers chantait/faisait vibrer le mot Islâm (avec un â très sourd). Je suis extrêmement surpris parce que je n'ai aucun rapport avec le monde islamique et je ne sais pas ce que ce mot veut dire, mais j'ai vaguement dans l'idée qu'il pourrait signifier « soumission ».
Une musique tout à fait extraordinaire, d'une beauté paradisiaque, se fait alors entendre et il y a une foule d'êtres diaphanes, je suppose des anges, qui vont et viennent, virevoltent, dans une sorte de ballet étrange. Ils sont tous très heureux. C'est tout juste s'ils ne me remercient pas, bien que, franchement, vu mon état d'esprit, il n'y a pas de quoi. Il est vrai que je deviens de plus en plus serein, et, progressivement (malgré la simultanéité de tous les moments/modules), vraiment heureux, d'un bonheur comme je n'en avais jamais imaginé de mon vivant.
J'ai envie de dire que j'éclate alors d'un immense rire. Mais ceci n'est pas du souvenir. Si ça s'est produit, je l'ai oublié. Pourtant, l'idée est là avec une grande force. Si c'est réel, pourquoi l'ai-je oublié alors que, en racontant,  je revis le reste dans tous ses détails ? Mais si ce n'est pas réel, pourquoi ce pseudo-souvenir se présente-t-il à mon esprit avec une telle insistance ?
De même, il est possible que je revoie ma vie, toute étale, mais peut-être que ça aussi, c'est quelque chose que j'invente. Ce qui est sûr, c'est qu'il devient évident pour moi que ma vie doit absolument changer, dans un sens altruiste. Il faudra que je cesse de brasser du papier dans une grande bureaucratie (même si elle fait du bien), pour me mettre au service de personnes qui souffrent de façon très concrète. 

Je finis par rentrer dans mon corps et m'endormir.

 A partir de cette nuit-là, je n'aurai plus jamais peur. (Enfin, si, il m'arrive de passer par un bref moment de frayeur, mais cela ne dure pas, cela se stabilise très vite. Il y a en moi une sorte de sécurité profonde qui me permet de tout traverser avec quelque chose qui est de l'ordre de la sérénité, et cela ne ressemble guère à celui que j'étais avant, j'étais plutôt du genre trouillard).
Mon changement de profession a été matériellement dur et compliqué, en ce sens que j'ai dû démissionner d'un emploi bien rémunéré et sûr pour me lancer dans une aventure que je n'avais peut-être pas le droit d'entreprendre, mes enfants étant encore petits. Mais en fait tout s'est bien passé. Dès que j'ai commencé à pratiquer, il s'est révélé que j'avais une étonnante facilité à comprendre les gens qui me consultent, même avant qu'ils m'aient donné des détails sur leurs problèmes. Ma clientèle consiste surtout en personnes dont les problèmes se situent à l'intersection de la psychologie et de la spiritualité. Elle comprend beaucoup de prêtres, religieux et religieuses, pasteurs et personnes engagées dans les Églises. On me sollicite aussi souvent pour des conférences sur des sujets comme la culpabilité, ou le bonheur, qui touchent aux deux domaines. Pour moi, il n'y a pas de doute, il y a avant et il y a après. L'expérience que j'ai essayé de décrire est, dans ma vie, l'équivalent d'une ligne de partage des eaux en géographie.


EHC