placement Diagnostic différentiel des EHC ou OBE
(Expériences Hors du Corps,  Out of Body Experiences)  


par le Dr Jean-Pierre JOURDAN

à propos d'un article (1) paru dans la revue Nature (http://www.nature.com/nature/) le 19 septembre 2002



Lors d'une exploration neurochirurgicale du cerveau chez une patiente atteinte d'épilepsie, des médecins suisses ont déclenché à plusieurs reprise une réaction ressemblant fort à une expérience hors du corps. Ce phénomène a t-il donc trouvé une explication, ou les choses sont-elles plus compliquées qu'il n'y parait au premier abord?

L'épilepsie est la traduction d'une activité électrique anormale de certaines zones du cerveau. La forme la plus connue touche les centres moteurs, ce qui se traduit par une crise convulsive généralisée, mais les symptômes peuvent être très différents selon la zone cérébrale touchée. En général, la symptomatologie, l'EEG, l'imagerie par résonance magnétique (IRM) ou le scanner permettent de cerner cette dernière, mais dans certains cas ces examens sont négatifs. Dans ce cas on emploie une technique qui consiste à stimuler directement la surface du cerveau par des électrodes sous durales.  Comme les patients ne sont pas anesthésiés et peuvent parler, ils peuvent décrire les sensations produites par la stimulation de telle ou telle zone, et quand la stimulation déclenche les mêmes symptômes que les crises la zone responsable est trouvée.

Dans le cas qui nous intéresse, des médecins suisses procédaient à cette exploration chez une patiente de 43 ans, droitière, atteinte d'épilepsie partielle complexe depuis onze ans. Les symptômes semblaient impliquer le lobe temporal droit sans que l' IRM ait permis de déceler l'origine de ces crises.

Lors de cette exploration, les stimulations ont porté en particulier sur une zone située à cheval sur les lobes temporal et pariétal, le gyrus angulaire (2) ou pli coudé. A ce moment, alors que le courant était relativement faible (2-3 mA), la patiente a décrit une impression de s'enfoncer dans son lit, puis celle d'une chute, interprétées par les auteurs comme une réponse vestibulaire (3). C'est lors d'une stimulation légèrement plus forte (3,5 mA) qu'est apparue ce qui ressemble fort à une "expérience hors du corps" : la patiente déclare se voir de dessus,  allongée sur le lit, mais elle ne voit que ses jambes et la partie inférieure de son tronc. La même stimulation lui a donné  à d'autres moments une impression de légèreté ou de flottement. Lors de stimulations de plus forte intensité (4,5 mA), il lui a été demandé de regarder l'un de ses bras qui était levé, elle a eu l'impression qu'il allait la frapper ou qu'il raccourcissait.
Dans la mesure où ces stimulations provoquaient à la fois des illusions de transformation des membres (réponses somatosensorielles complexes) et des impressions de déplacement du corps entier (réponses vestibulaires), les auteurs pensent que ces expériences résultent d'un échec du cerveau à intégrer ces différentes informations.


PEUT-ON EN DÉDUIRE QUE LES EHC OU OBE SONT EN VOIE DE TROUVER UNE EXPLICATION?

Au vu de cet article, une analyse superficielle peut en effet  laisser penser que les expériences hors du corps sont en fait une illusion sensorielle, due à un fonctionnement particulier de certaines zones cérébrales, comme en témoigne la réaction du psychologue Michael Shermer, président de la Skeptic Society, qui y voit "un coup dur de plus pour ceux qui croient que l'esprit et la conscience peuvent être d'une manière ou d'une autre séparés du cerveau."
Le neurologue Bruce Greyson (université de Virginie), directeur de la recherche de Iands-USA, a une position nettement plus ouverte :" Ce n'est pas parce que des stimulations électriques du cortex sont capables d'induire l'illusion de se trouver hors de son corps que nous devons en déduire que  les expériences hors du corps sont toutes des illusions".


EN FAIT, CETTE EXPÉRIMENTATION APPELLE QUELQUES REMARQUES:

Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une "première", puisqu'un neurochirurgien exerçant à Montréal, Wilder Penfield  a déjà décrit (4) dans les années 5O les résultats d'expérimentations consistant à stimuler électriquement différentes zones des lobes temporaux lors d'interventions pour épilepsie temporale. Les patients n'étant pas endormis pouvaient, comme dans l'expérimentation suisse, décrire leurs perceptions. Les zones amenant les réponses les plus intéressantes se trouvèrent, à droite et à gauche, au niveau des faces latérales et supérieures des lobes temporaux. Les phénomènes décrits étaient des réponses motrices, des illusions sensorielles ou somatiques, des sensations de vertige, l'impression de quitter son corps, mais aussi des phénomènes beaucoup plus complexes, comme des rappels de pans entiers de souvenirs, sensations de déjà vu, audition de morceaux de musique, reviviscence de certains moments de la vie, etc.

Dans l'article de Penfield, on trouve un bon exemple concernant l'impression de sortie du corps : la stimulation portait sur un point situé à 2 cm à l'intérieur de la scissure de Sylvius, donc de la face supérieure du lobe temporal. Cette stimulation provoqua une perception de doux-amer sur la langue du patient . La stimulation fut coupée, et sur l'électrocorticogramme apparut un rythme lent à 4 hz généralisé (post décharge). C'est à ce moment que le patient s'exclama : "mon dieu, je sors de mon corps". Quand l'électrocorticogramme revint à la normale, cette sensation disparut. 
Il est à noter que les zones stimulées par les médecins suisses et par Penfield à cinquante ans d'intervalle sont très proches, qu'elles sont toutes deux situées à droite et qu'elles sont effectivement proches aussi du cortex vestibulaire.

Il est tout à fait compréhensible que la stimulation électrique des zones qui ont pour but d'intégrer les informations somatosensorielles et vestibulaires puissent donner des illusions portant effectivement sur la position du corps, sur ses mouvements et sur des modifications de la sensation de pesanteur. Il est aussi évident que la perception du corps lui même et des membres puisse être perturbée ou exagérée. De même, la stimulation de zones associatives correspondant à l'audition provoque des hallucinations auditives complexes, et celle des aires visuelles provoque des hallucinations visuelles et la vision de scènes plus ou moins complexes, ce qui n'a rien de sorcier ! 
Dans la mesure où le gyrus angulaire intègre aussi les informations visuelles, on peut comprendre que les illusions concernant aussi bien la position du corps que les sensations de monter, de descendre ou de se sentir léger puissent être intégrées et perçues en dernier lieu comme impressions visuelles, donnant alors l'impression de voir son propre corps (ou une partie de ce dernier) de l'extérieur, au lieu de le percevoir "de l'intérieur" comme à l'accoutumée. Et assurément ce doit être une impression étrange !


LES TÉMOIGNAGES D'OBE (QUE L'EXPÉRIENCE SOIT "SIMPLE" OU QU'ELLE MARQUE LE DÉBUT D'UNE EMI) SONT-ILS DONC DORÉNAVANT À CLASSER DANS LA CATÉGORIE DES HALLUCINATIONS? 

Une hallucination est définie comme une "perception sans objet". Et c'est précisément parce que certains témoignages rapportent une perception précise et détaillée non seulement du corps, mais aussi de son environnement, donnant des détails qui n'ont à aucun moment pu être perçus avec les organes sensoriels, que l'on ne peut, dans ces cas précis, parler d'hallucination.Ce point est fondamental, car il y a là une perception objective, même si elle est inexplicable, d'objets tout à fait réels.
Il y a donc en fait très probablement plusieurs catégories d'OBE/EHC. Si le phénomène mis en évidence par les médecins suisses est dû à un fonctionnement cérébral particulier (spontané ou provoqué) qui procure au sujet l'illusion de se trouver hors de son corps, d'autres expériences apparemment semblables ont, elles, des caractéristiques qui les en différencient. Nous sommes donc conduits à répondre à la question suivante : comment différencier une illusion d'OBE d'une expérience "réelle", si celle-ci existe ? 


Une première réponse peut être déduite, précisément, des deux cas rapportés par Penfield et par l'équipe suisse : quand il s'agit d'une illusion  (qu'elle soit spontanée ou provoquée par une stimulation électrique), celle ci ne peut porter que sur des éléments "internes", connus et mémorisés par le cerveau. Ce sont essentiellement la perception du corps, de ses mouvements et de sa position dans l'espace. 
Si une personne déclare " j'ai eu l'impression de flotter au dessus de mon corps, et je me suis vu allongé (dans telle ou telle position)", les perceptions décrites concernent uniquement le corps, et nous avons vu qu'elles peuvent être induites artificiellement. Il peut donc s'agir dans ce cas, d'une perception "illusoire" d'un objet réel, le corps, le tout pouvant avoir une explication tout à fait plausible dans le cadre de nos connaissances actuelles.
A l'opposé, certains témoignages rapportent une perception objective d'"objets" extérieurs au corps, dont voici quelques exemples, le premier ayant été recueilli par un cardiologue américain (7) et le second reproduit d'un article (5) récent :
 
« J’ai entendu un bruit mécanique.. Ca m’a fait penser à la fraise du dentiste. C’était
comme si le bruit me poussait, et finalement je suis sortie par le haut de ma tête. Dans cet état, j’avais une vision extrêmement claire de la situation. J’ai remarqué que mon médecin avait un instrument dans la main qui ressemblait à une brosse à dents électrique. Il y avait un emplacement en haut, ça ressemblait à l’endroit où on met l’embout. Mais quand je l’ai vu, il n’y avait pas d’embout. J’ai regardé vers le bas et j’ai vu une boite. Elle m’a fait penser à la boite à outils de mon père quand j’étais enfant. C’est là qu’il rangeait ses clés à douilles.  A peu près au moment où j’ai vu l’instrument, j’ai entendu une voix de femme, je crois que c’était la voix de ma  cardiologue. Et la voix disait que mes veines étaient trop étroites pour évacuer le sang.. et le chirurgien lui a dit d’utiliser les deux côtés.»



Cette patiente, que l'on préparait pour une intervention sur un anévrysme cérébral, était en hypothermie profonde (15,8° C) lors de son expérience. L'EEG et les potentiels évoqués enregistrés au moment même de la scène qu'elle décrit montrent qu'elle n'avait aucune activité cérébrale mesurable. Et pourtant elle a pu percevoir et mémoriser un certain nombre de détails aisément vérifiables, y compris les dialogues qui étaient enregistrés. S'il y avait eu la moindre activité cérébrale, celle ci aurait été enregistrée, a fortiori s'il s'était agi d'une activité épileptiforme comme celle qui a pu être simulée par les médecins suisses et par Penfield. Ce cas est un exemple d'expérience parfaitement inexplicable, puisque les détails visuels et les dialogues ont été perçus et mémorisés par une personne dont le cerveau était totalement inactif. D'autre part, ces perceptions ayant pu être vérifiées, il ne s'agit pas non plus d'une "perception sans objet", éliminant l'hypothèse d'une hallucination.

«Je voyais à 360°, devant, derrière, en haut, etc..  J’avais à la fois une vision globale et une vision particulière. Je pouvais voir à la fois de loin et de près, jusqu’aux fibres du tissu qui recouvrait mon corps, je pourrais dire comment les gens étaient habillés, je pouvais voir le grès du mur, je voyais aussi les dalles du plancher de la salle. Plus tard, j’ai pu vérifier leur présence alors qu’il me semblait anormal et anachronique que l’on puisse trouver des dalles dans une salle d’opération. (…) J’avais plusieurs axes de vision différents  en même temps (…). En même temps que je voyais l’ensemble de la salle d’opération, j’ai pu voir sous la table, donc simultanément depuis un autre point de vue, une plaque verte avec des lettres blanches qui portait l’inscription « Manufacture d’armes de Saint Etienne ». Quand j’en ai parlé au chirurgien, il m’a dit « on va aller vérifier ensemble ». Lui même n’était pas au courant de l’existence de cette plaque, qui était bien à l’endroit même et telle que je l’avais vue. (…) J’ai eu envie d’aller contre le mur, je ne sais pourquoi, je me suis rendu compte qu’il ne me résistait pas et je l’ai traversé. J’ai vu ce qu’il y avait de l’autre côté : un immense jardin, un garage à vélos, des voitures rangées, et je me suis retrouvé complètement à l’extérieur. (la première chose que j’ai faite en me réveillant a été de demander à me lever pour regarder par la fenêtre et vérifier la présence du garage à vélos.) Quand j’ai fait cette description au chirurgien, il s’est avéré que tout était exact.
J’ai aussi pu voir une salle commune avec des gens qui dormaient, et surtout un couloir où se trouvait un robinet, un point d’eau. Après l’opération, lorsque j’ai été réveillé, j’avais une soif terrible, mais on m’avait interdit de boire. Je me suis levé, je savais que ce point d’eau se trouvait deux portes plus loin .. Je suis sorti de ma chambre, et je m’y suis rendu directement, je suis allé boire à cet endroit que je savais être là !» (J.M.)



Dans cet autre cas, le patient était entré inconscient à l'hôpital. Il y mettait les pieds pour la première fois (si l'on peut dire, puisqu'il est arrivé sur un brancard...), ce qui élimine l'hypothèse d'une visite antérieure qui lui aurait permis de mémoriser inconsciemment ce qu'il rapporte avoir vu. Quand aux "objets" de cette perception, ils sont on ne peut plus réels, puisque pour la plupart vérifiés en compagnie du chirurgien. Quand au point d'eau dans le couloir, ça ne s'invente pas !
Là non plus nous ne pouvons parler d'hallucination, malgré l'impossibilité d'expliquer les perceptions décrites par le patient, qui était inconscient sur la table d'opération lors de son expérience.
 
Dans un couloir de l’hôpital, un élève infirmier voit un jour un vieux monsieur se diriger vers lui, et lui dire, hilare : « alors, tu as fini par la trouver, la planche ?… ». Le grand-père, devant son air passablement ahuri, commence alors à lui expliquer : « Tu ne te souviens pas de moi, mais moi je me souviens de toi ! ».. Il reconnaît alors ce monsieur, qui était arrivé aux urgences en arrêt cardiaque quelque temps auparavant. Et l’ancêtre continue son explication : « j’ai tout vu d’en haut, quand vous essayiez de faire repartir mon cœur… On t’a demandé d’aller chercher une planche, et tu étais affolé, tu la cherchais partout et elle n’était pas là où elle aurait dû être.. Je t’ai suivi tout le long, et tu as fini par la trouver dans la cuisine ». 
 
Cette planche que l’on glissait sous le dos du patient était utilisée pour les massages cardiaques, qu’il vaut mieux effectuer sur un plan dur. Les choses s’étaient bien passées comme le patient, qui était en arrêt cardiaque à ce moment là, les avait « vues ». C’est bien une aide-soignante qui, après avoir lavé la planche, l’avait laissée à sécher à l’office au lieu de la remettre à sa place. Etant en arrêt cardiaque et dans le coma, à aucun moment il n’avait pu voir  l’infirmier -dont le rôle s’était borné à chercher la planche- qui m’a rapporté cette histoire, ce qui ne l’a pas empêché de le reconnaître. 


Le cas suivant a été rapporté aux auteurs d’une récente étude hollandaise (8) par une infirmière de l’unité de soins intensifs, et est remarquablement similaire au précédent, à ceci près qu’il s’agit d’une histoire de dentier et non de planche :

Une ambulance amène aux urgences cardiologiques un homme de 44 ans, cyanosé et comateux. Il avait été trouvé une heure auparavant dans un pré par des passants. A son admission, il est mis sous respiration artificielle sans intubation, pendant qu’on pratique massage cardiaque et défibrillation. Quand nous avons décidé de l’intuber, nous nous sommes aperçus qu’il portait un dentier. Je lui ai enlevé son appareil et l’ai rangé sur le chariot à pansements. Pendant ce temps, la réanimation intensive était poursuivie. Après une heure et demie, le rythme cardiaque et la tension étaient remontés à des valeurs suffisantes,  mais il était toujours ventilé et intubé, et encore dans le coma. On le transféra dans une unité de soins intensifs pour continuer la respiration artificielle et la surveillance que nécessitait son état. Ce n’est qu’une semaine plus tard que je le revois, quand il est de retour dans le service de cardiologie. Au moment où il m’aperçoit (je distribuais les médicaments), il dit : «  oh, cette infirmière sait où se trouve mon appareil dentaire ! » Je suis surprise, et il m’explique :  « Oui, vous étiez là  quand on m’a emmené à l’hôpital, vous m’avez enlevé le dentier de la bouche et vous l’avez mis sur ce chariot avec tous ces flacons, il y avait un tiroir sous le plateau et c’est là que vous l’avez rangé ! »
J’étais totalement stupéfaite, car je me souvenais parfaitement que tout cela s’était passé pendant que ce patient était dans un coma profond, durant la réanimation cardio-respiratoire. Quand je lui demandai de m’en dire un peu plus, il me raconta s’être vu allongé sur le lit, voyant aussi de dessus les infirmières et les médecins occupés à le réanimer. Il a été capable de décrire avec précision et en détails la petite pièce dans laquelle il avait été ressuscité, aussi bien que l’apparence physique des personnes présentes, dont moi même. Au moment où il observait cette scène, il avait très peur de mourir si nous cessions nos efforts. Et effectivement, nous étions très pessimistes sur ses chances de survie, à cause de son état désastreux à l’arrivée. Le patient me raconta qu’il avait désespérément, mais sans succès, essayé de nous faire comprendre qu’il était toujours vivant et que nous devions continuer la réanimation. Cette expérience l’a profondément impressionné et il dit n’avoir plus peur de la mort. Il a quitté l’hôpital un mois plus tard, en bonne santé.

     
Tous ces cas (qui sont loin d'être des exceptions) sont caractérisés par la perception objective de scènes complètes,  d'objets, d'un environnement, et de dialogues, le tout bien réel et ayant été vérifié dès que cela a été possible, ce qui différencie sans ambiguïté ces  expériences de celles qui ont pu être induites par stimulation électrique de certaines zones cérébrales.


En résumé, nous pouvons classer les OBE ou EHC en trois catégories:

  • Type I - Perception du corps et de sa position dans l'espace depuis un point extérieur à celui-ci, impression de mouvements et/ou de légèreté, le tout sans perception de quoi que ce soit d'extérieur au corps : cette expérience est reproductible par stimulation électrique corticale, et peut être due à une activité spontanée de la zone impliquée, sans qu'il soit besoin de parler d'épilepsie. Lors de l'endormissement, dans certains états de conscience "intermédiaires" ainsi que lors de l'activité onirique, il peut persister ou survenir une activité autonome dans certaines zones cérébrales, en particulier quand ces dernières ne sont plus connectées à leur environnement habituel. Les images hypnagogiques, les bourdonnements ou bruits divers qui apparaissent lors de l'endormissement en sont un bon exemple. Toute expérience présentant ces caractéristiques peut donc, dans le doute, être classée dans la catégorie des illusions somatosensorielles, lesquelles ne sont pas obligatoirement pathologiques.

  • Type II - Il peut exister une expérience intermédiaire, avec perception du corps (toujours depuis un point extérieur) mais aussi de son environnement, le point fondamental résidant dans le fait que ce dernier est familier ou du moins connu du sujet. Dans ce cas un doute subsiste: en effet, certaines zones du cerveau sont spécialisées dans la mémorisation et la reconnaissance de l'environnement, et il est tout à fait possible qu'un fonctionnement atypique du cerveau soit à l'origine d'une illusion perceptive, rajoutant à la perception du corps celle de son environnement immédiat. Dans le doute, et en l'absence d'éléments objectifs et vérifiables, cette catégorie est, comme la première, à classer comme possible illusion somatosensorielle et environnementale.

Sommeil paradoxal, paralysie du sommeil et rêve lucide

Un excellent exemple de cette catégorie, connu et répertorié, est ce que l’on appelle la paralysie du sommeil. Ce dernier comprend cinq stades : le sommeil léger (stades 1 et 2), le sommeil lent profond (stades 3 et 4), et le sommeil paradoxal. C’est essentiellement pendant ce dernier que nous rêvons, et il est caractérisé par des mouvements rapides des globes oculaires. Durant ce dernier stade, une abolition totale du tonus musculaire (à l’exception des muscles respiratoires et oculaires) protège le rêveur de mouvements incontrôlés qui pourraient être dangereux. Mais le mécanisme qui est à l’origine de la déconnexion entre cerveau et corps peut rester actif au réveil, ou se déclencher prématurément durant l’endormissement alors que la conscience est toujours présente et éveillée. L’impression alors est celle, extrêmement désagréable, d’être parfaitement lucide mais de ne pouvoir bouger aucun muscle, ni ouvrir les yeux ou modifier sa respiration. Les impressions de sortir de son corps, celles d’une présence souvent pénible ou angoissante, la perception de bruits de pas et les sensations de pression sur le corps sont aussi relativement fréquentes. Le récit qui suit en est un exemple parfait :

"J'ai vécu mes premières expériences à environ 20 ans. Je faisais mes études et tombais parfois de fatigue l'après midi. Je me retrouvais alors dans un état de "dédoublement", sorte de paralysie de mon corps, alors que mon esprit était totalement éveillé. Cela me terrifiait et j'avais beau lutter pour essayer de sortir de cet état, rien n'y faisait, à part de replonger dans le vrai sommeil et me réveiller normalement. J'ai fait cela pendant des années, au rythme d'une ou deux fois par an. Ensuite, j'ai lu des livres à ce sujet et ai appris que je pouvais alors sortir de mon corps. J'ai eu moins peur et au fil des années, j'ai appris à maîtriser ces expériences, enfin, maîtriser est un grand mot.
Depuis maintenant 4 ans, j'arrive très bien à sortir les bras de mon corps, et je m'en amuse. J'arrive à ouvrir les yeux, ce qui me permet de constater la "non matérialité" de mes bras lors de ces expériences.
La dernière à été la plus belle: je suis arrivée à me lever entièrement, j'ai alors décidé de sortir de la maison, ce que j'ai fait en traversant la porte d'entrée. Je me suis alors dit "je peux donc m'envoler", et je l'ai fait. J'ai ressenti une incroyable sensation, comme lorsque l'on fait du manège style chenille, mais très agréable. Ce qui me surprend, c'est que la réalité était transformée : par exemple, nous avons une grange avec une vieille voiture, lors de cette sortie, elle n'était plus là. Je voyais aussi mon fils de 8 ans, alors qu'à ce moment là il n'était pas à la maison. Mais tous ces changements ne me surprenaient pas. Autre chose, j'ai subitement et sans raison apparente décidé de réintégrer mon corps. A la vitesse de la pensée,je me suis retrouvée au-dessus de ma tête, suis rentrée et me suis immédiatement réveillée.

Cette dernière expérience date de la semaine dernière, mais j'en ai vécu une autre l'été dernier, bien moins agréable : Pour une fois, c'était la nuit (généralement, je fais ces expériences durant des siestes). Je me suis retrouvée dans cet état de dédoublement et ai subitement pris conscience que quelqu'un était à côté de moi. Cette "entité" à commencé à essayer de me toucher, je ressentais ses mains comme on ressent les mains physiques d'une personne. Je me suis alors débattue (du moins mon "corps astral") et hurlais le nom de mon ami qui dormait à mes côtés, mais bien sûr, il ne m'entendait pas, puisque je ne criais pas réellement. J'ai alors prié et chassétrès violemment cet esprit dont je voyais vaguement la forme dans l'obscurité, et ai réussi à me réveiller, vraiment très apeurée. Une autre fois, je me suis retrouvée dans cet état et j'entendais mon fils dans sa chambre qui ne dormait pas (c'était la sieste). J'ai lutté pour essayer de me réveiller et sortir de cet état, j'ai senti alors une main appuyer sur mon épaule comme pour me maintenir couchée. J'ai alors lutté mentalement pour faire fuir cette main et me suis endormie là dessus. J'ai vécu beaucoup d'autres expériences, avec bruits (bruit de pas dans les escaliers ressemblant à mes propres pas, bruit de fermeture éclair que l'on descend, dialogue comme dans une radio mais incompréhensible, rires de femmes où enfants lointains, sorte de perceuse), ou sans bruit, juste à jouer de la lourdeur de mes bras que je m'amuse à sortir. Petit détail, si je sors mes bras trop vite, je ressens de forts fourmillements qui me "dégoulinent" du bout des doigts jusque dans les épaules.  (G.D.)"


Ce témoignage est typique , et il est intéressant de le comparer à ceux que nous étudions. Dans aucun de ces derniers, on ne retrouve ces notions de « sortie partielle » d’un ou plusieurs membres (ici les bras), ou que « la réalité a été transformée » (la grange qui a disparu ou le fils qui ne devrait pas être là). Au contraire, tous les cas de décorporation survenus lors d’une EMI sont caractérisés par la perception objective de scènes complètes et banales, d’objets et de détails précis, d’un environnement et de dialogues, le tout bien réel pour les personnes présentes et ayant été vérifié dès que cela a été possible, ce qui différencie sans ambiguïté ces  expériences de celles qui ont pu être induites par stimulation électrique de certaines zones cérébrales, par une paralysie du sommeil (qui n’est pas pathologique) ou d’autres phénomènes neurologiques ou psychiatriques..
Le Dr Giorgio Buzzi, neurologue italien spécialiste des troubles du sommeil, a effectué une étude sur 264 personnes présentant des épisodes de paralysie du sommeil. Il en a profité pour vérifier l’éventuelle authenticité de ce qui pouvait être perçu lors des expériences hors du corps qui peuvent survenir dans ces cas, et résume (8 - Buzzi G., 2002)  ses conclusions dans le Lancet :

«Dans son commentaire du 15 décembre, C.C. French déclare qu’un éventuel témoignage de perception véridique durant une expérience hors du corps représenterait un important défi pour les explications « non-paranormales » des EMI.
Un autre contexte dans lequel des expériences hors du corps ont été décrites est le sommeil paradoxal, durant lequel peut survenir une paralysie du sommeil. Cheyne et Coll. rapportent 17 cas d’expériences autoscopiques associées à la paralysie du sommeil, dans lesquelles les personnes se voyaient allongées sur le lit, généralement depuis un point situé au-dessus de ce dernier.
J’ai publié les résultats d’une étude portant sur des personnes souffrant de paralysie du sommeil. Parmi les 264 participants, 28 (11%) avaient eu une expérience hors du corps. Quelques-uns uns d’entre eux rapportaient des épisodes récurrents de telles expériences. J’ai invité ces personnes à pratiquer quelques simples «tests de réalité»: essayer d’identifier des objets placés à des endroits inhabituels ; s’assurer de l’heure que marque le réveil ; fixer son attention sur les détails d’une scène et comparer avec la réalité.
J’ai reçu des réponses de cinq personnes (données non publiées). Aucun objet placé à un endroit inhabituel (par exemple sur l’armoire) ne fut identifié durant les expériences hors du corps. Même chose pour la pendule : une femme présentant des épisodes nocturnes de paralysie du sommeil eut deux expériences  hors du corps dans la même nuit, et pour chacune son réveil indiquait une heure impossible. Un autre participant déclara : « Je regarde mon réveil pour vérifier l’heure, et si la Led verte brillante n’est pas là je sais immédiatement qu’il s’agit d’une expérience liée à un désordre du sommeil… Ma chambre est la même que quand je suis éveillé, seules les lumières ne marchent pas ». Au bout du compte, dans tous les cas sauf un, étaient notées des différences mineures mais importantes dans les détails.
Au total, les expériences hors du corps dans les cas de paralysie du sommeil ne semblent pas passer avec succès les tests de réalité. Ainsi, ce qui est vu doit être compris comme un rappel d’information sur l’environnement stockée dans la mémoire ».


Plus récemment, une étude (9- Nelson K.R.et coll., 2006) parue dans la revue Neurology a soulevé un certain nombre de commentaires : comparant 55 personnes ayant vécu une EMI à un groupe similaire n’ayant aucun antécédent de ce type, Nelson et son équipe ont tenté d’explorer un lien possible entre EMI et « intrusions de sommeil paradoxal ».
Au total, 60% des cas « EMI » rapportaient un ou plusieurs éléments de telles intrusions, à comparer avec les 24% du groupe témoin.
Plus en détail, 42% (contre 7% chez les contrôles) ont répondu « oui » à la question : « Juste avant de vous endormir ou juste après votre réveil, avez-vous jamais vu des choses, des objets ou des personnes que d’autres ne pouvaient voir ? »
36% des cas (contre 7%) ont répondu « oui » à la question : « Juste avant de vous endormir ou juste après votre réveil, avez-vous jamais entendu des sons, des voix ou de la musique que d’autres ne pouvaient entendre ? »
46% des cas (contre 13%) ont répondu « oui » à la question : « Au moment de votre réveil, vous êtes vous jamais aperçu que vous étiez paralysé ou incapable de bouger ? »
Cette étude est intéressante dans la mesure où elle permet d’objectiver des modifications physiologiques dans les suites d’une EMI, mais elle ne donne évidemment aucune indication sur la  fréquence d’intrusions de sommeil paradoxal avant l’expérience. Si un certain nombre de réactions ont été d’en déduire que les EMI étaient (une fois de plus) enfin expliquées, les auteurs s’en tiennent aux faits, et ne prétendent nullement avoir donné une explication biologique aux EMI.


  • Type III - Perception de détails environnementaux, d'objets précis, inconnus du sujet au préalable et vérifiés ultérieurement, le tout depuis un point de vue extérieur au corps, le plus souvent avec un état fonctionnel cérébral incompatible avec une quelconque perception : ce type d'expérience est caractérisé par une perception objective, quoique inexplicable, et n'a jamais pu être reproduit expérimentalement par des moyens artificiels. C'est celle qui est la plus courante lors des premiers stades des EMI, et elle peut être considérée comme OBE ou EHC "authentique".

La validité des recherches sur les EMI est parfois mise en cause du fait de leur caractère apparemment subjectif. Ces expériences comportent en fait un certains nombre d'éléments objectifs, et j'ai essayé dans de précédents articles (5) de montrer comment leur étude approfondie pouvait nous permettre d'avancer dans nos recherches. Lorsque l'expérience débute par une OBE/EHC, certaines perceptions (environnement, personnes, dialogues, détails d'objets ou autres) ne peuvent être qualifiées de subjectives si elles ont pu être vérifiées ultérieurement, et ce sont elles, entre autres, qui permettent de penser qu'il y a dans les EMI beaucoup plus que des hallucinations dues à une souffrance cérébrale ou à un mode de défense psychologique.
L'expérimentation que nous venons d'étudier nous permet de mieux cerner les limites entre subjectif et objectif, c'est à dire entre perception illusoire d'une réalité "intérieure" opposée à celle, objective, d'une réalité extérieure partagée par d'autres personnes présentes. Les réactions qu'elle a suscité montrent l'intérêt d'une approche scientifique de ces phénomènes qui sont encore mal connus et donc difficiles à cerner. Cette recherche nécessite rigueur et honnêteté, si l'on veut éviter de rester dans un flou artistique propice à tous les égarements.
Il conviendra donc dorénavant d'être prudent avant de qualifier une expérience  d'authentique, puisqu'il est possible qu'un certain nombre de cas jusqu'à présent classées comme EHC ou OBE soient des illusions somatosensorielles d'origine cérébrale (Types I et II).
En revanche, les cas documentés où il y a eu perception objective, vérifiée, d'éléments extérieurs au corps et inconnus du sujet au préalable (Type III) n'ont toujours aucune explication. Ils restent à explorer et posent la question de la possibilité d'une perception sans intervention des organes sensoriels, et au bout du compte celle de la localité ou de la non-localité de la conscience (5) (6).

Dr Jean-Pierre Jourdan


Bibliographie
  1. Blanke Olaf, Ortigue Stephanie, Landis Teodor, Seeck  Margitta. "Stimulating illusory own-body perceptions", Nature 419, 269 - 270 (2002) olaf.blanke@hcuge.ch
    Résumé de l'article (disponible sur le site de la revue: http://www.nature.com/nature/ ):
    'Out-of-body' experiences (OBEs) are curious, usually brief sensations in which a person's consciousness seems to become detached from the body and take up a remote viewing position. Here we describe the repeated induction of this experience by focal electrical stimulation of the brain's right angular gyrus in a patient who was undergoing evaluation for epilepsy treatment. Stimulation at this site also elicited illusory transformations of the patient's arm and legs (complex somatosensory responses) and whole-body displacements (vestibular responses), indicating that out-of-body experiences may reflect a failure by the brain to integrate complex somatosensory and vestibular information.
    Lire la traduction de l'article (Pdf)
  2. Chez les droitiers, le gyrus angulaire droit intègre les informations sensorielles (visuelles et somesthésiques, c'est à dire en provenance des membres) relatives à la perception du corps et à sa position dans l'espace, ce qui en permet la représentation mentale. La même zone à gauche est, elle, plutôt impliquée dans la compréhension du sens du langage, ainsi que dans l'intégration de ce dernier avec la vision et le repérage spatial.
  3. C'est à dire en rapport avec l'organe et la zone corticale responsables de l'équilibre et de la
    notion de position du corps dans l'espace.
  4. Penfield W., "The Role of the Temporal Cortex in Certain Psychical Phenomena", Journal of Mental Science, 1955.
  5. Jourdan Jean-Pierre." Les dimensions de la conscience", Cahiers de IANDS-France,  N°7, janvier 2001.
  6. Ransford Emmanuel. "Conscience non-locale et NDE : une hypothèse", Cahiers de IANDS-France,  N°7, janvier 2001.
  7. Sabom M.B., Light and Death : One doctor’s fascinating account of near-death experiences. Grand Rapids, MI ; Zondervan 1998.
  8. Van Lommel Pim & al., « Near-Death Experience in survivors of cardiac arrest : a prospective study in the Netherlands », The Lancet, vol 358, Décembre. 2001
  9. Buzzi G., The Lancet, 2002- Vol 359 (9323), 2116-2117.
  10. Nelson KR, Mattingly M, Lee SA, Schmitt FA.: “ Does the arousal system contribute to near death experience?” Neurology 2006 ; 66 : 1003–1009.